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Au large du Brésil, des requins sauvages ont été testés positifs à la cocaïne

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Des taux élevés de drogue ont été mesurés dans une dizaine de requins sauvages vivant près de la côte brésilienne, révèle une étude publiée le 23 juillet. Les impacts sur leur organisme sont mal connus mais des niveaux élevés de résidus de cocaïne provoquent des «effets toxicologiques graves» chez d’autres espèces marines.
La concentration de cocaïne trouvée chez les requins grisets de Rio est 100 fois plus élevée que celle détectée chez d'autres animaux marins. (Paulo de Oliveira/Biosphoto.AFP)
publié le 24 juillet 2024 à 13h25

Ce n’est pas un mauvais remake des Dents de la mer, mais bien une énième pollution humaine qui ravage la vie marine. Une dizaine de requins grisets, au large du Brésil, ont été testés positifs à la cocaïne selon une nouvelle étude. Il s’agit de la dernière recherche en date à démontrer que la consommation de drogues illégales par l’homme nuit aux animaux marins, pointe le Guardian.

Pour mener cette étude, intitulée Cocaine Shark et publiée mardi 23 juillet dans la revue Science of the Total Environment, les scientifiques ont disséqué 13 requins grisets, capturés dans des filets de pêcheurs au large d’une plage de Rio de Janeiro. Tous ont été testés positifs à la drogue alors que l’espèce est répertoriée comme «quasi menacée» par l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Rejets d’eaux usées ou contrebande

La manière dont les requins ont pu ingérer de telles quantités de cocaïne reste inconnue. Les chercheurs avancent malgré tout, plusieurs hypothèses : la drogue a pu être déversée par des contrebandiers tentant d’échapper aux autorités. Si le Brésil ne produit pas de beaucoup de cocaïne, il en exporte beaucoup et de puissants gangs envoient des tonnes de drogues vers l’Europe via des conteneurs. Autre possibilité : la cocaïne a pu atteindre la mer par des rejets d’eaux usées. De là, elle aurait été ingérée par ces requins, qui, par leur milieu de vie proche de la côte, sont soumis à d’importants rejets humains de contaminants.

«Quelle que soit l’origine de la drogue, les résultats montrent que la cocaïne fait l’objet d’un commerce et d’un transport importants au Brésil», explique le coordinateur de l’étude, Enrico Mendes Saggioro, de l’Institut Oswaldo Cruz. «La cocaïne a une faible demi-vie dans l’environnement [c’est-à-dire le temps nécessaire pour que, après l’administration d’une substance, sa concentration diminue de moitié, ndlr]. Si nous la trouvons dans un animal comme celui-ci, cela signifie que beaucoup de drogues pénètrent dans le biote [la flore et la faune, ndlr]», estime l’expert. «Dans d’autres études, j’avais déjà trouvé de la cocaïne dans les rivières qui se jettent dans la mer au large de Rio, mais ce fut une surprise de la trouver chez les requins, et à un niveau aussi élevé», relate encore Enrico Mendes Saggioro.

Alors que de précédentes études ont révélé la présence de cocaïne dans l’eau des égouts, des rivières, et de la mer, des traces de cette poudre ont été trouvées dans plusieurs espèces marines, comme les crevettes. Sans surprise, les experts s’accordent à dire que des niveaux élevés de résidus de cocaïne provoquent des «effets toxicologiques graves» chez les animaux tels que les moules brunes, les huîtres et les anguilles dans la baie de Santos, dans l’État brésilien de São Paulo. Ils précisent aussi que la concentration trouvée chez les requins de Rio est 100 fois plus élevée que celle des autres animaux marins.

Du requin à l’homme

Chez les écrevisses exposées, des changements comportementaux ont été observés, comme une augmentation de la hardiesse et une diminution de l’activité alimentaire. Il convient toutefois de noter que les impacts de la drogue sur les espèces de poissons cartilagineux tels que les requins et les raies ne sont pas connus. Ces animaux jouent pourtant un rôle crucial dans les écosystèmes marins en tant que prédateurs. Ils sont reconnus comme des espèces sentinelles de la contamination environnementale, c’est-à-dire qu’ils signalent avant les autres que quelque chose ne va pas dans leurs milieux.

Autre problème : le requin griset fait partie du régime alimentaire des Brésiliens. Ainsi, il est à craindre que des résidus de cocaïne puissent passer du poisson à l’homme. «Nous ne connaissons pas le niveau d’impact qu’ils peuvent avoir sur l’homme, ce qui devra faire l’objet d’études futures. Mais en tout état de cause, il s’agit d’une mise en garde», conclut Enrico Mendes Saggioro. Une pollution majeure qui nuit aux humains tout autant qu’à la vie océanique alors que 31,2 % des espèces de requins et 36 % des espèces de raies sont actuellement menacées d’extinction.