On se souvient de la vague de chaleur qui avait frappé les Etats-Unis en 2022, causant la mort de troupeaux entiers de bovins, et dont les vidéos avaient choqué le monde entier. En ce mois de mai 2024, l’histoire semble se répéter. Car au Mexique, alors que 26 personnes sont déjà décédées à cause de la canicule qui touche le pays depuis plusieurs semaines, c’est au tour des singes hurleurs de suffoquer. Au moins 138 individus auraient été retrouvés morts au pied des arbres et le long des routes de l’Etat de Tabasco et du Chiapas, d’après Cobius, l’association de conservation de la biodiversité de l’Usumacinta.
«Ils tombaient des arbres comme des pommes, a déclaré à Associated Press le biologiste Gilberto Pozo. Ils étaient dans un état de déshydratation sévère et sont morts en quelques minutes.» Les causes précises de ces décès n’ont pas encore été confirmées, mais les scientifiques ont formulé plusieurs hypothèses. D’après eux, les singes auraient été affaiblis par la température élevée et la sécheresse, alors que les incendies de forêt à répétition et l’exploitation forestière les privent d’eau, d’ombre et de fruits. Dans nombre de cas, c’est la chute, parfois de plusieurs dizaines de mètres, qui serait la cause directe des décès. «Les singes hurleurs sont une espèce très arboricole, décrypte auprès de Libération la vétérinaire et primatologue française Sabrina Krief. En cas de forte chaleur, ils ne peuvent pas se réfugier au sol. Ils sont inféodés à la hauteur de la canopée.»
Espèce emblématique
Dans la ville de Tecolutilla (Etat de Tabasco), les premières dépouilles ont été découvertes vendredi. Aidés par une équipe de secouristes volontaires, les pompiers se sont chargés de récupérer les corps, et les habitants ont, de leur côté, porté secours aux singes affaiblis. Car pour les habitants de l’Etat de Tabasco, le singe hurleur est une espèce emblématique et particulièrement appréciée. Un petit groupe a été transporté d’urgence chez un vétérinaire local.
D’ordinaire robustes et intimidants – les singes hurleurs sont connus pour leur cri rugissant, qui tranche avec leur petite taille –, les blessés sont arrivés très faibles chez le docteur Sergio Valenzuela. «Ils étaient mous comme des haillons», a raconté à Associated Press le vétérinaire, qui les a recueillis et pris en charge. Ces jours-ci, il essaie de mettre sur pied une équipe de vétérinaires spécialisés pour prodiguer des soins d’urgence aux primates de la zone.
Dans l’Etat voisin du Chiapas, plusieurs dizaines de singes ont également été retrouvés morts. Une situation d’autant plus préoccupante que les espèces qui s’y trouvent – le hurleur mexicain, le hurleur du Guatemala ou le hurleur à manteau, le plus en danger de tous – sont considérées comme menacées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). «Plus de la moitié des hurleurs à manteau ont disparu au cours des trente dernières années», précise Sabrina Krief. Et, étant donné qu’ils ne vivent que dans quatre états – le Chiapas, le Veracruz, Tabasco, et Oaxaca –, cet épisode de chaleur pourrait mener à la «disparition pure et simple de la sous-espèce», redoute la primatologue.
Records de températures
Sans donner de décompte exact, le ministère mexicain de l’Environnement dit enquêter pour déterminer exactement les causes de ces décès. Pour le bénévole Leonardo Sanchez, qui parcourt la forêt de Comalcalco, dans l’Etat de Tabasco, pour déposer fruits et eau au pied des arbres où vivent cachés dans l’épais feuillage des singes hurleurs, cela ne fait pas de doute : «C’est à cause de la hausse des températures», a-t-il assuré à l’AFP. «Mais on ne pourra en être sûr qu’une fois l’autopsie réalisée», tient à rappeler Sabrina Krief. Au Mexique, le mois de mai a été particulièrement chaud. Dix villes du pays ont enregistré des records de température ces derniers jours. A Gallinas, dans le centre du pays, 49,6 degrés ont par exemple été enregistrés par une station météorologique le 10 mai.
Dans une lettre adressée aux autorités environnementales, la Commission nationale des zones naturelles protégées, le bureau du procureur fédéral à la protection de l’environnement ainsi qu’un groupe de 58 spécialistes des primates de tout le pays ont exhorté les autorités locales et fédérales à réagir au plus vite. Car les fortes températures devraient se maintenir pendant encore plusieurs jours, selon la Commission nationale de l’eau (Conagua). D’après les auteurs de ce courrier en forme d’«appel à l’aide», l’urgence est de mettre en place un dispositif pour récupérer les singes orphelins et les mettre à l’abri dans des refuges.
Le gouvernement mexicain, qui a félicité le vétérinaire Sergio Valenzuela pour ses efforts, compte lui venir en aide. Dans son cabinet, les rescapés se rétablissent peu à peu : complètement apathiques à leur arrivée il y a quelques jours, ils retrouvent leur force de caractère. «Ils sont agressifs… Ils mordent à nouveau», s’est enthousiasmé le vétérinaire auprès d’Associated Press.