Les écureuils sont de retour. Dans la nuit de dimanche 16 au lundi 17 février, le militant écologiste Thomas Brail et les grimpeurs qui avaient élu domicile à la cime des arbres situés sur le tracé de l’A69 se sont installés dans les platanes à l’entrée du Tribunal administratif (TA) de Toulouse (Haute-Garonne). Le but : «marquer le coup» avant «une audience cruciale», expliquent les activistes présents le long du canal du Midi, dans le centre de la ville. Cette audience, censée être l’ultime et qui débutera ce mardi 18 février à 9 heures, doit permettre aux juges de statuer sur le recours au fond du dossier de la très controversée autoroute A69, destinée à relier Toulouse à Castres (Tarn) d’ici à la fin de l’année 2025.
Interview
En juin 2023, Me Alice Terrasse, l’avocate représentant les collectifs d’opposants à l’autoroute, avait en effet déposé un recours au fond attaquant la phase opérationnelle de l’A69, en contestant son autorisation environnementale. Dans ce document technique, publié en mars 2023 par les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne, les représentants de l’Etat estiment que «le projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse, dont l’objectif principal est de désenclaver et d’accompagner le développement du bassin de Castres-Mazamet, répond à une raison impérative d’intérêt public majeur […] d’une importance telle qu’il peut être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats, de la faune et de la flore».
«Passage en force»
Or, dans un avis communiqué aux parties en fin de semaine dernière, la rapporteure publique du TA de Toulouse, Mona Rousseau, a maintenu la position avancée lors d’une première audience le 25 novembre, et a prescrit «l’annulation totale de l’arrêté [préfectoral] du 1er mars 2023» autorisant le chantier. Selon la magistrate, il n’existe pas de «raison impérative d’intérêt public majeur» pouvant justifier la construction de 53 km d’asphalte entre Toulouse et Castres et donc la dérogation aux textes du code de l’environnement, notamment ceux concernant la protection des espèces ou habitats sur le tracé de l’autoroute.
Les conclusions des rapporteurs publics, censées guider la juridiction dans l’examen des recours au fond, sont souvent suivies par les magistrats. «Mais dans le dossier de l’A69, tout est possible ! Même s’il va falloir que les juges se creusent la tête pour trouver les raisons de ne pas aller dans son sens, estime Thomas Digard, porte-parole du collectif d’opposants la Voie est libre. On attend une réaction de la justice à la hauteur de l’enjeu. Elle doit faire preuve d’indépendance et de courage et appliquer le droit en mettant de côté les pressions exercées actuellement par la défense et l’Etat». Pour le militant, si les juges choisissent de donner raison aux promoteurs et aux élus du territoire favorables au projet, à l’instar de la présidente PS de la région Occitanie, Carole Delga, cela légitimerait «la logique du passage en force» sur ces grands projets d’infrastructures.
Dans une tribune publiée le 9 janvier sur France Info, une centaine d’avocats et d’universitaires se sont inquiétés du traitement de l’A69 par la justice, redoutant une «politique du fait accompli» où «tout est fait pour préserver les intérêts économiques» au détriment du droit. Ils réclament une réforme en profondeur, «avec l’instauration d’une véritable démocratie participative» ou encore «une suspension automatique des travaux lorsqu’un recours est déposé contre un projet ayant reçu des avis défavorables d’instances indépendantes», comme c’est le cas pour l’A69. Quelques jours plus tard, le 21 janvier, le juge des référés du TA de Toulouse, saisi par les opposants, n’a pas souhaité suspendre les travaux de l’autoroute controversée en attendant la décision sur le fond de l’affaire. Le magistrat s’est justifié en expliquant que les impacts environnementaux du chantier seraient minimes voire inexistants «d’ici là».
Anachronique
En vingt-et-un mois de chantier, la construction de l’autoroute A69 a engendré près de 34 rapports de manquement administratif et 14 mises en demeure préfectorales, selon la fédération d’ONG France nature environnement (FNE), principalement liés à des atteintes aux espèces protégées et à la ressource en eau. De son côté, le concessionnaire de l’autoroute, Atosca, a précisé dans un communiqué daté du 10 février qu’il allait une nouvelle fois défendre devant le tribunal «l’intérêt public de l’A69» en rappelant «le soutien d’une très large majorité des élus et des Tarnais à la construction de l’autoroute et les différents enjeux (notamment territoriaux, démographiques, sécuritaires et économiques) auxquels elle répond».
Ces dernières semaines, les équipes d’Atosca «ont poursuivi les travaux de terrassement sur l’emprise de l’autoroute et la livraison des ouvrages d’art s’est accélérée sur l’ensemble des 53 km de l’autoroute», souligne le promoteur, précisant qu’il «a désormais concrétisé plus de 300 millions d’euros, soit 65 % du budget total du chantier» et compte tenir l’objectif d’une livraison à la fin de l’année 2025. «Si des écarts sont constatés» par rapport à l’arrêté préfectoral d’autorisation environnementale, «des mesures correctives sont mises en œuvre», peut-on lire dans ce même communiqué.
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Pour les écologistes et les scientifiques, le chantier de l’A69 est devenu le symbole des grands projets d’infrastructure anachroniques à l’heure du changement climatique. Certains, à l’image du climatologue Christophe Cassou, s’inquiètent de voir les responsables politiques ignorer la rationalité scientifique. Les témoignages de personnalités se multiplient sur les réseaux sociaux ces derniers jours pour demander l’annulation du chantier. L’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent, le chanteur du groupe Shaka Ponk, François Charon, ou encore le défenseur des baleines Paul Watson ont pris position. «Nous n’avons pas besoin de nouvelles autoroutes et certainement pas au prix de centaines d’arbres et de la pollution des nappes phréatiques, a fait savoir le fondateur de l’ONG Sea Shepherd, qui vit en France depuis son retour de prison au Groenland. La majorité des Français y est complètement opposée. Pourquoi un tel projet est-il toujours d’actualité ? Ça n’a aucun sens d’un point de vue politique, économique et surtout, environnemental.» La décision des juges sera connue aux alentours du début du mois début mars.