Tortue, éléphant, manchot… Entre 1970 et 2020, 73 % des populations de vertébrés sauvages se sont effondrées, dévoile ce jeudi 10 octobre le Fonds mondial pour la nature (WWF) dans un rapport mis à jour tous les deux ans. Ce déclin touche toutes les espèces observées, dans tous les écosystèmes et sur tous les continents. Dans un entretien à Libération, Jean Burkard, directeur de plaidoyer de l’ONG pour la France, dénonce un double discours entre les grands objectifs politiques de protection de la nature annoncés dans l’Hexagone et leur édulcoration, voire leur abandon.
Quel est le principal enseignement de ce rapport ?
D’après notre rapport, les trois quarts des populations sauvages de vertébrés observées ont chuté en cinquante ans. Ce déclin est dû aux activités humaines : le changement d’usage des sols et la surexploitation des ressources. Sous pression, la nature est en plein burn-out.
Les politiques de protection de la nature sont-elles à la hauteur de l’effondrement en cours ?
La prise de conscience sur les enjeux de la biodiversité est meilleure aujourd’hui qu’il y a dix ans et les grands objectifs de protection ont été fixés. Mais, pour les états, la nature n’est pas une priorité, notamment à cause du mur financier. Et face à ce mur, les décisions tendent plutôt vers le report ou l’abandon, plutôt que de se donner les moyens d’atteindre ces objectifs.
C’est le cas par exemple du règlement européen sur la déforestation, dont la mise en œuvre a été repoussée de douze mois.
Bruxelles a du mal à mettre en œuvre ses politiques pour la biodiversité : à cause de pressions des Etats-Unis, du Brésil et même d’autres membres de l’Union européenne, le règlement sur la déforestation, qui devait entrer en vigueur fin 2024, est suspendu, pour le moment jusqu’à fin 2025. Notre crainte, c’est qu’en actant cette suspension, on finisse par édulcorer les obligations des entreprises, à savoir de surveiller, dans leur chaîne de valeur, qu’elles ne participent pas à la déforestation.
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C’est la même chose pour la loi sur la restauration de la nature, largement affaiblie, qui impose à chaque Etat membre de mettre en place un plan national d’ici 2030. On a vu une levée de boucliers pour en faire le bouc émissaire d’une écologie «hors-sol» qui ferait n’importe quoi, alors même que l’on parlait de plan national, donc qu’il en allait de la souveraineté des pays !
La France, un des rares pays à avoir présenté une stratégie nationale sur la biodiversité, est-elle en retard ?
La France se dote d’objectifs forts pour essayer de redonner sa place à la nature et enrayer le déclin des espèces, mais le volet financier est très souvent sous-estimé et on ne se donne pas les moyens d’atteindre lesdits objectifs. Trois grandes politiques publiques avaient pour ambition d’inverser la tendance du déclin du vivant : la tarification de l’eau, le Fonds vert et le Zéro Artificialisation Nette (ZAN). La première, au cœur du projet de loi de finances 2024, devait instaurer le principe du préleveur-payeur : plus on consomme d’eau, plus on paie. L’agriculture était dans le viseur (notamment les grands céréaliers qui destinent leur production au bétail), car c’est l’une des causes clairement établie de l’effondrement de la biodiversité. Mais cette mesure a été suspendue lors de la crise agricole. Le Fonds vert, crée il y a deux ans, devait permettre aux collectivités d’accélérer, entre autres, la renaturation et la restauration de leur territoire. Dotée initialement de 2 milliards d’euros, l’enveloppe avait été relevée à 2,5 milliards parce que la demande était très forte. Mais fin août, les lettres plafonds du gouvernement démissionnaire prévoyaient de diviser par deux les moyens de ce Fonds [une réduction de 1,5 milliard d’euros révélait Contexte, ndlr] pour de pures raisons budgétaires et comptables.
Le troisième volet, le plus connu et le plus clivant, c’est le ZAN. L’objectif est d’atteindre un équilibre entre les surfaces artificialisées et celles qui seront renaturées d’ici 2050. Pour les collectivités, c’est très contraignant dans leur schéma d’aménagement. Donc, soit on trouvait les moyens de financer les efforts de restauration, soit on rabotait complètement les objectifs. L’an dernier, une première loi a mis quelques coups de canif dans l’ambition initiale, en octroyant à toutes les communes un «droit à construire» d’au moins un hectare, et en sortant les projets d’intérêt général du ZAN. Lors de sa déclaration de politique générale, Michel Barnier a également évoqué une nouvelle adaptation du ZAN.
Pourquoi la biodiversité devrait-elle être une priorité des politiques publiques ?
Plus on perd du temps, plus il sera difficile de régler le problème. On oppose souvent des problématiques économiques aux enjeux de biodiversité. Mais le business model des entreprises repose sur la nature : 72 % de celles de la zone euro dépendent d’un service écosystémique ! Si on continue de détruire les zones humides, les espaces naturels et les espèces qui y vivent, l’économie aussi va en pâtir !
D’autant plus que les politiques dédiées fonctionnent.
Au niveau local, on constate assez rapidement l’efficacité d’une restauration. Par exemple, en supprimant des obstacles sur un cours d’eau et en lui redonnant sa morphologie naturelle, sinueuse, des effets positifs sur la faune et la flore se font sentir en cinq à dix ans à peine ! D’où l’intérêt de soutenir les collectivités, à commencer par les régions, pour que les citoyens puissent percevoir tous les bénéfices de la restauration.