L’accouchement aura été long et rude. Le Parlement européen et les Etats membres de l’Union européenne sont parvenus jeudi 9 novembre tard dans la nuit à s’entendre sur une proposition de règlement relatif à la restauration de la nature, un texte clé à l’heure de l’effondrement de la biodiversité. «Jusqu’à présent, nous avions des règles pour protéger les espaces naturels les plus remarquables, mais nous n’en avions pas pour restaurer la nature là où elle est déjà dégradée. C’est maintenant le cas avec cette loi inédite», se félicite dans un communiqué Pascal Canfin, eurodéputé Renaissance (Renew) et président de la commission environnement du Parlement européen.
Une bonne nouvelle pour les tourbières, les prairies, les forêts, les rivières, les lacs, herbiers marins, éponges ou encore coraux, qui sont vitaux pour l’humanité. La ministre espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera Rodriguez, se dit-elle aussi «fière» de la loi : «Elle nous aidera à reconstruire des niveaux sains de biodiversité et préserver la nature pour les générations futures, tout en combattant le changement climatique», a-t-elle déclaré.
En Europe, 80% des habitats naturels sont dégradés. Le texte vise à mettre en œuvre des mesures pour restaurer 30% de ces zones abîmées en 2030, 60% en 2040 et 90% en 2050. Au final, 20% du territoire terrestre et maritime de l’UE devrait donc être couvert par des mesures de restauration d’ici à 2030.
Des objectifs «édulcorés»
Les discussions autour du texte proposé en 2022 par la Commission européenne ont été âpres. La plus importante formation au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE, droite) avait tenté de le torpiller plus tôt en 2023. Le texte a finalement survécu, mais certains points ont été affaiblis pendant la phase finale de «trilogue» entre les trois institutions européennes (Commission, Parlement, Conseil).
«Les objectifs d’ensemble n’ont pas été remis en cause, on reste dans les clous de l’accord de Kunming-Montréal [conclu à l’issue de la conférence des Nations unies sur la biodiversité de fin 2022, ndlr], assure Pascal Canfin à Libération. La nouveauté est que les Etats membres auront obligation de mettre en place un plan de restauration, avec les mesures associées écosystème par écosystème (marins, côtiers, forestiers, zones humides…), y compris les terres agricoles, qui ont été réintégrées dans le compromis final et constituaient le cœur du désaccord. Donc tous les écosystèmes sont bien concernés, avec une obligation de moyens, pas de résultats. Le texte entre dans le détail, avec des indicateurs précis et adaptés pour mesurer l’état écologique des milieux à la fin du processus.»
Interview
En revanche, l’obligation d’avoir des mesures de restauration sur 10% des terres agricoles ne figure pas dans le compromis. «C’était une ligne rouge de la droite», explique l’eurodéputé. L’agriculture industrielle est pourtant la principale cause d’effondrement de la biodiversité. Le texte stipule cependant que les haies, pollinisateurs ou encore parcelles en agroforesterie devront afficher une «tendance à la hausse». En cas d’événement de force majeure menaçant la sécurité alimentaire, les mesures de restauration pourront aussi être suspendues «pour une durée maximale d’un an», précise un communiqué du Conseil de l’UE. Une des «importantes concessions» que regrettent plusieurs associations environnementales, dont WWF, dans un communiqué commun. Elles regrettent la multiplication des exceptions et des objectifs «édulcorés» mais font part de leur soulagement de voir aboutir un texte.
«Bon espoir» d’adoption
Concernant les forêts, certains indicateurs, tels que le bois mort laissé sur place et l’indice commun des oiseaux forestiers devront eux aussi être à la hausse, en tenant compte du risque d’incendies de forêt, notamment dans les pays du sud de l’Europe tels que le Portugal. Les Etats membres devront contribuer à la plantation d’au moins 3 milliards d’arbres supplémentaires d’ici à 2030 au niveau de l’UE, tout en diversifiant les essences pour améliorer la résilience face au changement climatique.
Pour les cours d’eau, l’objectif reste inchangé : d’ici à 2030, l’UE devra compter 25 000 km de rivières en écoulement libre, sans obstacles artificiels. «Si des petits projets hydrauliques sont nécessaires pour la production d’électricité, ces derniers ne seront évidemment pas retirés pour permettre l’expansion du cours d’eau», précise Pascal Canfin.
Une autre avancée concerne l’harmonisation des règles pour les pêcheurs européens afin de mieux protéger les écosystèmes marins. «Aujourd’hui, lorsque la France par exemple protège les dauphins dans le golfe de Gascogne, ces mesures ne s’appliquent pas aux pêcheurs espagnols qui continuent de pêcher dans la zone malgré l’interdiction faite aux pêcheurs français. Demain, les Etats auront l’obligation de s’entendre sur des mesures communes. A défaut, la Commission européenne pourra imposer des mesures de conservation applicables à tous», note l’eurodéputé dans son communiqué.
Le parcours législatif n’est pas terminé, puisque la proposition de texte doit encore être approuvée par les Etats membres et soumise à un vote crucial de la commission de l’environnement du Parlement européen le 29 novembre. Un rejet signerait la mort du règlement. «Nous avons fait les gestes nécessaires pour qu’une partie du PPE puisse suivre pour trouver une majorité. J’ai bon espoir», assure Pascal Canfin. Si la proposition franchit les étapes finales avec succès, le règlement entrera en vigueur début 2024.