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Interview

Captures de dauphins dans le golfe de Gascogne : «Oui, la fermeture de la pêche fonctionne»

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Les pêcheurs ont retrouvé leurs bateaux ce mercredi 20 février, après un mois de fermeture du golfe de Gascogne qui visait à protéger les dauphins. Malgré des échouages nombreux en raison des conditions météo, la mortalité liée aux filets a drastiquement diminué, affirme Hélène Peltier de l’observatoire Pelagis.
Des pêcheurs sur le quai du port de pêche de Lorient Keroman, le 22 janvier 2024. (Marie Sebire/Hans Lucas. AFP)
publié le 21 février 2024 à 13h16

Du mieux pour les dauphins. En mars 2023, le Conseil d’Etat a ordonné au gouvernement de fermer certaines zones du golfe de Gascogne aux navires de huit mètres ou plus, équipés de filets spécifiques, afin de «limiter les décès accidentels de dauphins et marsouins». Une décision importante qui vise à limiter l’hécatombe : selon le Ciem, l’organisme scientifique international de référence, 9 000 dauphins communs meurent chaque année par capture accidentelle sur la façade atlantique française, près du double du niveau soutenable pour l’espèce.

Alors que les pêcheurs retrouvent leurs navires ce mercredi 20 février après un mois à quai, quel bilan tirer pour les cétacés ? Hélène Peltier, ingénieure de recherche à l’observatoire scientifique Pelagis à La Rochelle et spécialiste des causes de mortalité de ces mammifères marins, avance des premières conclusions. Selon elle, le pourcentage de captures accidentelles a d’ores et déjà été «largement réduit» mais il faudra attendre la fin de l’hiver pour dresser un état des lieux plus formel.

Quel premier bilan tirez-vous de ce mois de fermeture ?

Il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Il y a eu plus d’échouages cette année qu’en 2023, mais ceci est dû à des conditions météo extrêmement différentes qui ne sont absolument pas comparables. En février 2023, le vent d’est a repoussé les animaux morts au large, nous avons donc retrouvé très peu de cadavres sur les plages. Or, cette année, nous avons eu du vent d’ouest qui a ramené les carcasses sur la côte. Nous en avons retrouvé un peu plus d’une centaine, ce qui est très loin des autres années similaires où l’on a compté plusieurs centaines d’échouages.

Parmi les dauphins échoués, combien sont morts à cause d’une capture accidentelle ?

Lors d’une situation hivernale classique, avec les mêmes conditions météo que cette année, 70 % des animaux échoués portent les marques d’une capture accidentelle. Là, pendant la fermeture, nous n’en avons identifié que deux pour l’instant. Ces blessures ont sûrement été le fait de bateaux de moins de huit mètres qui ont pu continuer à pêcher et des autres engins où le risque de capture est très inférieur - mais qui existe tout de même. Nous savions qu’il y aurait probablement encore quelques captures, le risque zéro n’existe pas.

Comment déterminez-vous le nombre de dauphins victimes de ces captures ?

Les animaux qui s’échouent sur les plages ne représentent qu’une petite part de ceux qui sont pris dans les filets. Pour déterminer plus précisément ces captures, nous faisons des expérimentations avec des pêcheurs. Le principe est simple : les pêcheurs posent des bagues en plastique avec un numéro sur les animaux qui ont été capturés et qui sont morts, puis ils les rejettent par-dessus bord. Ils nous envoient le numéro, la date et la position du rejet. Et nous, nous regardons la proportion de ces animaux qui se sont échoués grâce à la modélisation qui intègre les conditions météo, les courants, la marée, l’état de décomposition de l’animal, etc.

Ainsi, nous sommes capables de dire qu’il y a à peu près un quart des animaux morts qui flottent et qui dérivent. Les trois quarts restants coulent. Et dans ce quart qui flotte, il y a ceux qui s’échouent sur nos plages et d’autres qui partent au large et que l’on ne retrouvera jamais.

Les associations écologistes réclamaient trois à quatre mois de fermeture du golfe de Gascogne. Un mois est-il finalement suffisant ?

Il y a deux questions auxquelles nous nous efforçons de répondre. Cette fermeture a-t-elle permis de réduire les captures ? Là, on peut déjà dire que oui, la fermeture de la pêche fonctionne. Mais le plus important sera de déterminer si la fermeture d’un mois de fin janvier à fin février est suffisante à l’échelle de l’hiver. L’année dernière, nous avons eu un pic de mortalité important au mois de mars. C’est pour ça qu’il faut attendre la fin de l’hiver pour tirer des conclusions.

Par ailleurs, le bilan à la fin de l’hiver 2024 ne sera peut-être pas le même que celui de l’hiver 2025, et de l’hiver 2026. [La fermeture d’un mois du golfe de Gascogne est prévue trois ans, ndlr.] On sait qu’il y a de la variabilité sur les périodes les plus à risque pour les dauphins, qui ne sont pas toujours à la même date. En février, c’est globalement la période où il y a le plus de mortalité, mais on a vu par le passé qu’il y en avait aussi en janvier et en mars. Sur une fermeture d’un mois, soit on «tape pile dedans», soit on passe à côté. Le Ciem [l’organisme scientifique international de référence], le dit bien : plus la fermeture est courte, plus on risque de manquer les pics de mortalité maximum.