Dans la mer de Ligurie, entre la Corse et la Toscane, un cargo italien a perdu le 2 décembre quatre chargements en pleine tempête. L’un d’eux, contenant 28 000 litres d’acide sulfurique, a aussi été englouti, au cœur du Sanctuaire des cétacés, une aire marine pour la protection des mammifères marins entre la France, l’Italie et Monaco. Selon la presse italienne, la cargaison de l’Eurocargo Malta gît désormais à 900 mètres de profondeur, sans confirmation d’une quelconque fissure de la cuve.
L’incident a aussitôt provoqué une vive émotion dans les classes politiques italienne et corse, et le parquet de Gênes a ouvert une enquête pour «pollution dangereuse de l’environnement», même si les survols de la zone n’ont pour le moment décelé aucune pollution. Mireille Pujo-Pay, océanographe et chercheuse au Laboratoire d’océanographie microbienne du CNRS, relativise cet incident provoqué au large des côtes.
La libération d’acide sulfurique dans l’eau est-elle nocive ?
L’acide sulfurique est une substance naturellement présente dans la mer : il ne pose donc pas de problème immédiat, car ce n’est pas un polluant comme le poison ou le mercure par exemple. Son acidité et la réaction de chaleur qu’il provoque au contact de l’eau – appelée réaction exothermique – sont les seuls éléments qui contribuent à sa toxicité. Et ce n’est évidemment pas bon pour l’environnement et le milieu marin.
En cas de fissure de la cuve, quelles pourraient être les conséquences sur l’environnement marin ?
Seul le fait de libérer cette substance en grande quantité dans la mer pourrait avoir des conséquences sur la faune et la flore. Cela pourrait entraîner une disparition à cet endroit du phytoplancton, des poissons et de certains organismes qui se trouvent à proximité même de la zone et qui seraient soumis à une augmentation soudaine de la température de l’eau. Mais à mon avis, il s’agit là d’une répercussion assez négligeable. L’équivalent d’une prise d’un bateau de pêche. Dès que les poissons sentent l’acidité, ils fuient rapidement la zone. En dehors de la grande quantité de chaleur émise, il n’y a donc pas de danger. Une fuite lente de cette cuve d’acide serait alors la solution idéale : l’acide sulfurique se libérerait et chaufferait progressivement la zone alentour, avant de se diluer. L’eau se refroidirait ensuite à son tour naturellement.
A court terme, les conséquences semblent assez minimes. Qu’en est-il des répercussions à long terme ?
Lorsque l’acide sulfurique se disperse dans l’eau, il crée un choc thermique ponctuel. Mais rapidement, cette substance se recombine et se transforme en produit naturel. L’acide ne pose alors pas de problème pour l’environnement sur le long terme : il va disparaître, sans que la toxicité puisse s’accumuler. Ce n’est pas comme s’il s’agissait de plomb, qui ne peut au contraire être éliminé. Il n’y a pas non plus d’accumulation de cette substance dans le corps des organismes vivants et de répercussions dans la chaîne alimentaire.
Pourquoi cette annonce a-t-elle alors provoqué une telle vague d’inquiétudes ?
Si cet acide s’était déversé auprès des côtes, là où il ne peut pas être dilué dans une grande masse d’eau, cela aurait en effet pu être dangereux. Dans ce cas de figure, la vie aquatique se situe entre 0 et 200 mètres. Elle aurait été plus directement et massivement touchée par une fuite de ce produit corrosif. Mais au large, assez loin des côtes comme c’est le cas ici, cet incident se révèle être d’une dangerosité moindre, puisque l’acide se libère dans une large colonne d’eau.