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Interview

COP 15 biodiversité : «La question des financements de la protection reste le sujet majeur»

La biodiversitédossier
Julien Rochette, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), analyse les clivages Nord-Sud à la COP 15 autour de la manière dont la protection de la biodiversité peut être financée.
A la COP15 sur la biodiversité à Québec, le 13 décembre. (Andrej Ivanov /AFP)
publié le 17 décembre 2022 à 12h05

Comme lors des négociations internationales sur le climat, les Etats peinent à s’entendre à la COP 15 biodiversité sur l’ampleur de la solidarité des pays du Nord envers les pays du Sud. La somme à mobiliser et les mécanismes pour la distribuer sont des points de blocage majeurs. Mais les 196 Etats représentés à Montréal vont devoir trouver un compromis dans les jours qui viennent pour éviter l’échec et enfin obtenir un «cadre mondial pour la biodiversité» ambitieux pour la décennie 2020-2030. Sans cela, il sera impossible de mettre en œuvre une réelle politique de protection, de conservation et de restauration des espèces. Julien Rochette, coordinateur de l’initiative «Gouvernance internationale de la biodiversité post-2020» au sein de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), détaille les propositions sur la table.

Jeudi, l’Australie, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et les Etats-Unis ont annoncé une augmentation de leurs financements destinés à la biodiversité. Est-ce significatif ?

A ma connaissance, personne n’a encore calculé le chiffre cumulé des annonces. Il y avait déjà eu d’autres engagements précédemment, notamment de la France. De toute façon, à ce stade, ce sont des engagements unilatéraux. Ce qui est attendu maintenant ; dans les négociations, c’est la définition de l’enveloppe globale à atteindre, notamment sur les flux financiers du Nord vers le Sud. Cela va être discuté dans les prochains jours par les ministres de l’Environnement [qui sont arrivés jeudi à la COP, ndlr], avec l’objectif d’arriver à un chiffre qui contente à peu près tout le monde et qui soit inscrit dans le texte final de la COP.

Les pays du Sud demandent justement 100 milliards de dollars par an…

Oui. L’objectif qui était noté dans le premier texte de négociation était de 10 milliards de dollars [9,5 milliards d’euros] de transfert Nord-Sud par an. Mais en mars, lors d’une réunion de négociation à Genève, un groupe de pays du Sud a demandé que ce chiffre soit porté à 100 milliards. Aujourd’hui, ce montant n’a pas fini d’être négocié. Les besoins estimés pour mettre en œuvre le cadre biodiversité post-2020 sont estimés entre 500 et 700 milliards par an en tout. Les flux Nord-Sud en constituent une partie.

Les pays du Nord estiment que la demande de 100 milliards est très élevée, certains disent même que c’est irréaliste. Les pays du Sud font, eux, valoir que si on adopte des objectifs ambitieux de protection de la biodiversité, ils auront besoin d’aide financière pour leur mise en œuvre. Ils avertissent qu’il n’y aura pas d’accord s’il n’y a pas de transferts suffisants de fonds du Nord vers le Sud.

Y a-t-il eu des inflexions ?

Le sujet des montants reste extrêmement clivant. Les pays du Nord ont été surpris de voir qu’à la base, on parlait de 10 milliards et que maintenant, il s’agit de dix fois plus. Il y a forcément une réticence générale. Dans les couloirs, on dit que l’Amérique latine trouverait acceptable que l’on s’accorde sur 60 milliards. Cela devrait avancer ce week-end. La question des financements reste le sujet majeur de la COP, à la fois sur le montant et sur le mécanisme qui l’accompagne.

Quelles sont les différentes positions sur les mécanismes financiers pour mettre en œuvre la protection de la biodiversité ?

Traditionnellement, on passe par le Fonds pour l’environnement mondial [FEM]. Il comprend cinq catégories : la biodiversité, le changement climatique, les eaux internationales, la dégradation des terres, les produits chimiques et les déchets. La biodiversité représente 36 % des fonds, c’est beaucoup. Les sommes qui sont allouées à cette dernière sont de plus en plus conséquentes, mais il n’en reste pas moins que, depuis quelques mois, le Brésil, soutenu par les pays du Sud, veut créer un nouveau fonds dédié à la biodiversité, mieux réparti, notamment pour les pays les plus vulnérables. Ces pays reprochent notamment au FEM la complexité de ses procédures internes, la difficulté pour certains pays d’avoir accès à ces fonds et le côté inégalitaire de la distribution des fonds.

Quelle est la position des autres pays ?

Un certain nombre de pays du Nord s’est montré réticent en disant qu’il fallait conserver le mécanisme traditionnel. Le principal problème, c’est le temps que la création d’un nouveau fonds prendrait. Or, on doit mettre en œuvre le cadre post-2020 le plus vite possible, les objectifs sont pour 2030. La première réaction de la France et de l’UE, à l’arrivée à la COP 15, a plutôt été l’opposition à la création d’un nouveau fonds. Je ne sais pas si cette position va tenir jusqu’au bout. Cela va devoir être tranché assez rapidement si on veut adopter un accord.

Y a-t-il d’autres pistes ?

Oui. Depuis quelques jours, la Colombie, dans une tentative de compromis, propose de créer un nouveau fonds, mais adossé au FEM. Car si on en crée un en dehors de tout cadre déjà existant, on sait que cela peut prendre des années. Mais on n’a pas le temps d’attendre. Placer le nouveau fonds sous l’égide du FEM permet de bénéficier des mécanismes, d’une équipe, d’un secrétariat déjà existants. Cela permettrait de rendre le nouveau fonds opérationnel en quelques mois. Le délai serait donc beaucoup plus court. Et il serait aussi possible de créer de nouvelles procédures pour faciliter l’accès, l’égalité, la rapidité, comme le demandent les pays du Sud. En cela, la proposition colombienne est jugée intéressante par beaucoup.