L’incendie sous-marin en cours continue de faire des ravages sur les récifs coralliens du monde entier. D’après les données de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), le blanchissement s’étend et s’aggrave dans les tropiques. Déclenché par le stress thermique, ce phénomène parfois fatal pour le corail se produit lorsque celui-ci expulse les microalgues colorées qui vivent en symbiose dans son tissu. Privés de son pourvoyeur de nourriture, l’animal devient alors transparent, laissant apparaître à l’œil nu un squelette d’une blancheur osseuse.
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«Je déteste devoir continuer à utiliser cette expression, mais encore une fois, nous assistons cette année à des phénomènes “sans précédent”, s’inquiète le coordinateur du programme de surveillance des récifs coralliens à la NOAA, Derek Manzello. Depuis l’annonce de ce nouvel épisode de dépérissement il y a un mois – le quatrième depuis 1998 –, «neufs autres pays ont rapporté un blanchissement sévère des coraux, notamment l’Inde et le Sri Lanka», a dévoilé le scientifique devant la presse jeudi16 mai, allongeant la liste à 62 pays, hémisphères nord et sud confondus.
13e mois consécutif de record mensuel
Pas moins de 60,5 % de la surface des récifs coralliens du monde ont été touchés par un stress thermique durant les douze derniers mois. Un record sur un an, selon l’organisme américain. Et ce n’est pas terminé ; l’épisode actuel devrait persister durant l’été tout en atteignant de nouvelles zones. En ce moment, la Grande Barrière de corail, au nord-est de l’Australie, dépérit et le stress thermique se fait jour particulièrement tôt dans les Caraïbes. En Asie, l’accès à l’île de Pling et au parc national côtier de l’île de Phuket en Thaïlande a été fermé la semaine dernière pour tenter de protéger les écosystèmes.
Si cette canicule marine est en partie due au phénomène naturel El Niño – qui consiste en un réchauffement d’une grande partie du Pacifique tropical et modifie la circulation de l’atmosphère à l’échelle de la planète –, elle ne se serait «pas produite sans le changement climatique», martèle l’écologue Derek Manzello. Les océans absorbent en effet près de 30 % des émissions de CO2 engendrées par les activités humaines et plus de 90 % de l’excès de chaleur accumulé dans le système climatique. Résultat, les records de températures tombent sans discontinuer : le mois dernier a été le plus chaud jamais enregistré dans les mers pour un mois d’avril, représentant le 13e mois consécutif de record mensuel. L’accumulation de chaleur a été «extrême et sans précédent dans l’océan Atlantique», pointe Derek Manzello.
Certains endroits du globe censés être des zones «refuges» pour les coraux sont désormais touchés par le blanchissement. En mer Rouge, et en particulier dans le golfe d’Aqaba et le golfe Persique, les récifs coralliens, pourtant habitués aux fortes chaleurs, sont en souffrance. «Il y a de magnifiques récifs vers l’Arabie Saoudite, la Jordanie, l’Egypte ou Israël. Si même eux se mettent à blanchir, cela signifie que nous avons dépassé un seuil important, pouvant déboucher sur leur disparition totale», expliquait récemment à Libé le spécialiste des coraux Denis Allemand, directeur scientifique du Centre scientifique de Monaco.
«Les ouragans pourraient s’avérer utiles»
L’océan mondial est entré dans une autre dimension depuis deux ans, abonde son collègue Thierry Perez, directeur de recherche au CNRS et à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (Université d’Aix-Marseille). «Depuis le printemps 2022, nous sommes en régime constant d’anomalies climatiques, c’est-à-dire que l’océan est constamment au-dessus des normales saisonnières, même si ces normales sont calculées par rapport à des périodes de références qui n’ont plus rien à voir avec le climat d’aujourd’hui, relève l’océanographe. Résultat, il y a de moins en moins de surface océanique exempte des effets de ces anomalies, toute la planète est maintenant concernée et ça ne va pas aller en s’arrangeant, sauf à infléchir très significativement nos comportements pour désemballer le dérèglement.»
De plus, les coraux ayant résisté à la canicule en cours risquent de mourir «de maladies ou de concentrations de prédateurs» dans un futur proche, prévient la NOAA, fragilisés par les épisodes de chaleur à répétition. Les étoiles de mer à couronne d’épine (les acanthasters pourpres) font déjà des ravages dans la Grande Barrière de corail australienne ou en Polynésie française. La vigie du «corail» de la NOAA, Derek Manzello, espère que de puissants vents viendront vite à la rescousse de ces écosystèmes. «Les ouragans peuvent être dévastateurs pour les récifs, mais compte tenu de la situation actuelle de notre planète, ils pourraient s’avérer utiles, ce qui est assez hallucinant», explique-t-il.
Sans aller jusqu’aux ouragans, «les vents moteurs de la courantologie océanique pourraient renouveler les masses d’eau superficielles par des remontées d’eau froides», précise Thierry Perez, ce qui aurait l’effet d’un climatiseur pour les coraux en surchauffe. En attendant le retour des alizés, les scientifiques scrutent l’arrivée du phénomène naturel La Niña, cette phase froide qui fonctionne à l’inverse d’El Niño, auquel elle succède. D’après Dan Collins, météorologue à NOAA, celle-ci est attendue d’ici l’été ou l’automne. Reste à savoir dans quelle mesure elle permettra de limiter la hausse du thermomètre de la Terre et de son océan, et surtout, pour combien de temps.