Il y a trois ans, 140 pays réunis lors de la COP26 sur le climat à Glasgow avaient pris un engagement ambitieux : éliminer la déforestation mondiale d’ici 2030. Mais les chiffres dévoilés ce mardi 8 octobre par une évaluation inédite confirment que la trajectoire suivie n’est pas la bonne.
En 2023, 6,4 millions d’hectares de forêts ont été perdus, selon l’analyse menée par une trentaine d’ONG, de groupes de réflexion et d’organismes de recherche. Cela «dépasse de manière significative» le niveau (pas plus de 4,4 millions d’hectares) qui aurait permis que le monde reste sur la bonne trajectoire pour éliminer la déforestation en 2030.
«Les forêts continuent d’être abattues»
Les forêts, qui abritent 80 % des espèces terrestres d’animaux et de plantes, sont pourtant cruciales pour réguler les cycles de l’eau ou séquestrer le CO2, principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique. «Au niveau mondial, la déforestation est devenue pire, au lieu de s’améliorer, depuis le début de la décennie, souligne l’expert Ivan Palmegiani, un des auteurs principaux de l’étude. Nous ne sommes qu’à six ans d’une échéance mondiale critique pour mettre fin à la déforestation et pourtant les forêts continuent d’être abattues, dégradées et incendiées à un rythme alarmant.»
En particulier, 3,7 millions d’hectares de forêt tropicale primaire – essentielles pour leur capacité à absorber le CO2 et la richesse de leur biodiversité – ont disparu l’an dernier, à un niveau proche du début de la décennie, alors que ce chiffre aurait déjà dû baisser nettement pour tenir les objectifs à l’horizon 2030. Le même constat avait été dressé début avril par le centre de réflexion World Resources Institute, qui s’était basé sur les données de l’université du Maryland.
Soja et nickel
Le rapport rendu public ce mardi se penche sur les régions du monde les plus problématiques, notant par exemple une hausse de la déforestation en Bolivie ou une reprise en Indonésie après des années d’amélioration. La Bolivie a ainsi connu une hausse «alarmante» de sa déforestation, qui a bondi de 351 % entre 2015 et 2023, «une tendance qui ne montre aucun signe d’atténuation». Cette augmentation est en bonne partie le fruit de la production de matières premières agricoles – particulièrement le soja mais aussi le bœuf et le sucre.
En Indonésie, la destruction des forêts avait atteint un point bas en 2020-2022 mais la tendance est fortement repartie à la hausse l’an dernier, en particulier pour produire des matières présentées comme «écologiques» – comme la viscose – ou faire de la place à des mines de nickel, utilisées pour les batteries de véhicules électriques et les énergies renouvelables à travers le monde. A cela s’ajoutent la production de biomasse et la création de grandes exploitations agricoles. Au Brésil, qui reste le pays où la déforestation est la plus importante, la situation s’est encore dégradée dans le Cerrado, épicentre de l’agriculture nationale.
«Vents changeants de la politique»
Le rapport pointe que les forêts dégradées – lorsqu’elles sont endommagées par l’exploitation, la construction de routes ou les incendies sans pour autant être rasées – ont représenté l’équivalent de deux fois la superficie de l’Allemagne en 2022 (la dernière année pour des données sur cet aspect).
Erin Matson, coautrice du rapport, appelle à des politiques publiques «robustes», assorties de réglementations contraignantes. «La conservation et la restauration des forêts ne peuvent pas être soumises aux vents changeants de la politique», plaide-t-elle. Et de préciser : «Nous devons repenser fondamentalement notre relation à la consommation et faire en sorte que nos modèles de production cessent de dépendre d’une surexploitation des ressources naturelles.» C’est ce qu’entend faire l’Union européenne, en interdisant l’import et la commercialisation de produits issus de terres déboisées. Mais peut-être moins vite que prévu : la Commission européenne vient de proposer la semaine dernière de reporter d’un an, à fin 2025, l’entrée en vigueur de sa loi antidéforestation, malgré les protestations des ONG environnementales.