L’été austral, qui s’étend de décembre à février en Australie, s’annonce chaud, très chaud. Depuis le mois de septembre, le phénomène météorologique périodique El Niño s’est installé dans le Pacifique et contribue à réchauffer l’océan, déjà en surchauffe depuis avril. Combiné au réchauffement climatique d’origine humaine, «l’enfant terrible du Pacifique» promet de faire cuire les Australiens… et les koalas avec. Le marsupial herbivore, dont la disparition à l’état sauvage est prévue par les chercheurs d’ici à 2050 en Nouvelle-Galles du Sud – l’Etat le plus peuplé d’Australie –, pâtit des sécheresses et des incendies qui les accompagnent souvent.
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«Après l’été noir de 2019-2020, les koalas ont été reclassés parmi les espèces menacées d’extinction dans le Queensland, la Nouvelle-Galles du Sud et le Territoire de la capitale australienne, souffle Robert Leach, du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW). Je n’ose imaginer les conséquences d’un autre été catastrophique sur les populations déjà en déclin de cette espèce emblématique de l’Australie.» Les images des feux de cette année-là avaient fait le tour du monde. Tandis que les fumées toxiques enveloppaient Melbourne, Canberra et Sydney, faisant suffoquer les habitants et les joueurs et joueuses de tennis venus disputer le premier Grand Chelem de la saison, faune et flore étaient réduites en cendres.
D’après le professeur Chris Dickman, chercheur en biologie de la conservation et écologie des mammifères australiens, plus d’un milliard de mammifères, d’oiseaux et de reptiles ont péri en quelques semaines. Le chiffre, vertigineux, grimpe à «au moins un million de milliards d’animaux» si l’on compte les amphibiens, les mollusques ou les arthropodes (qui comprennent les insectes), avait estimé l’écologue Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS et le professeur de parasitologie au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), Jean-Lou Justine.
Corridors écologiques
Depuis ces drames, des associations de protection de l’environnement tentent tant bien que mal de sauver les marsupiaux de l’extinction. Le groupe local de conservation Bangalow Koalas a par exemple planté plus de 336 000 arbres sur 119 propriétés, depuis 2019, dans la région des Northern Rivers, afin de densifier de vastes réseaux de végétations et stimuler l’écosystème local. Une bouée de sauvetage pour les koalas et pour de nombreuses autres espèces telles que le cacatoès noir brillant, en voie de disparition, les planeurs, les opossums ou encore les wallabies.
Reportage
«Nos corridors visent à éloigner les koalas des humains, des voitures et des chiens, explique à Reuters Linda Sparrow, présidente de Bangalow Koalas. Ils peuvent se déplacer en toute sécurité dans le paysage sans avoir à se soucier de nous.» En Australie, où la hausse globale des températures engendre régulièrement des pics de chaleur à 45 °C voire 50 °C, les fortes sécheresses diminuent drastiquement la quantité d’eau comprise dans les feuilles d’eucalyptus qui sont à la fois le principal repas et la boisson phare des petites bêtes à poils gris. Résultat, ces dernières descendent de plus en plus souvent des arbres à la recherche de rares gouttes d’or bleu, ce qui les expose aux accidents de voiture ou encore aux attaques de chiens et de renards.
Les fameux corridors écologiques offrent donc un passage sûr à travers l’habitat de plus en plus fragmenté des koalas, du fait de l’urbanisation galopante et de la forte déforestation toujours à l’œuvre dans le pays. Dans la région de Lismore (Nouvelle-Galles du Sud), les champs de canne à sucre et de noix de macadamia remplacent en effet peu à peu les précieux eucalyptus. Comme le disait déjà en 2020 à Libé Hugh Possingham, professeur à l’université de Queensland et spécialiste de la biodiversité australienne, tout est lié : il faut «impérativement réintroduire de l’humidité dans les forêts», en commençant par restaurer les forêts tropicales via des arbres locaux résistants aux feux comme… les eucalyptus.
Un parc national «Great Koala» en projet
Sans oublier que la colonisation européenne de l’île-continent a apporté un autre fléau : la chlamydia. Portée par les animaux domestiques, cette maladie sexuellement transmissible, douloureuse et très contagieuse, s’ajoute aux nombreuses causes de mortalité des koalas et nécessite une prise en charge rapide des vétérinaires. Submergées, les associations de protection de l’environnement déplorent le manque d’aides allouées par les autorités du pays. Mi-septembre, les écologistes ont toutefois obtenu une petite victoire : le gouvernement de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud a en effet interdit l’exploitation de 8 400 hectares de forêt dans lesquels se trouvent 106 «centres pour koalas». Chasse gardée des ONG, cette zone fait partie du projet de parc national «Great Koala» de 315 000 hectares censé voir le jour sur le littoral «dès que possible» afin de «sauver les koalas de l’extinction dans cet Etat», a précisé l’exécutif.
Selon la ministre fédérale de l’Environnement, Tanya Plibersek, les accords forestiers régionaux devraient se conformer aux nouvelles normes environnementales nationales en cours d’élaboration dans le cadre de réformes plus larges des lois nationales sur l’environnement. «Les animaux menacés comme les koalas, les opossums de Leadbeater et les phalangers volants [petit marsupial capable d’effectuer des vols planés, ndlr] sont tous affectés par l’exploitation des forêts indigènes», a-t-elle affirmé au mois de mai. Et d’ajouter, pragmatique : «Nous savons également que la protection des forêts indigènes présente des avantages économiques. Elle peut augmenter le stockage du carbone et la production d’eau, permettre une cogestion avec les Aborigènes et créer des emplois grâce au contrôle des animaux sauvages et à la restauration des forêts.» Et puis, d’après une estimation de la Fondation australienne pour les koalas, l’emblématique marsupial contribuerait à hauteur d’environ 3,2 milliards de dollars australiens (environ 1,9 milliard d’euros) par an aux recettes touristiques de l’île.