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Liste rouge

En France, au moins 12 espèces rares de champignons sont menacées de disparition

La liste rouge des espèces menacées en France s’allonge ce mercredi 3 avril en intégrant pour la première fois des champignons, victimes de la destruction des habitats naturels et du changement climatique.
Le lactaire des saules réticulés a été classé «en danger critique». (Jerzy Opiola)
publié le 3 avril 2024 à 19h46

Ils sont indispensables au fonctionnement des forêts mais leur «état de santé» était jusqu’ici inconnu en France. Pour la première fois, des scientifiques ont passé au crible 319 espèces (sur les 25 000 existantes dans le pays) et ont estimé que douze étaient menacées de disparition. Ces dernières ont donc été ajoutées à la liste rouge tenue par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui détaille l’état de conservation de la faune, de la flore, et désormais de la fonge.

Plus précisément, trois groupes de champignons répandus en métropole ont été étudiés : les bolets, dont le dessous du chapeau comporte des pores, à l’instar des cèpes, puis les lactaires, reconnaissables au lait qu’ils sécrètent lorsqu’ils sont coupés, et les tricholomes, qui rassemblent des dizaines d’espèces dont le chapeau est garni de lames attachées au pied. Cet inventaire a été mené en collaboration avec l’Office français de la biodiversité, le Muséum national d’histoire naturelle, avec les connaissances et l’expertise de nombreux mycologues et de l’Association pour le développement d’outils naturalistes et informatiques pour la fonge.

«En symbiose avec les arbres»

Les champignons à chapeau étudiés «s’observent principalement en forêt et parfois en milieu ouvert, des plaines côtières jusqu’en haute montagne», explique le communiqué de l’UICN. La grande majorité de ceux classés en situation critique est toxique ou non comestible (goût désagréable ou sans intérêt) et a un nom méconnu du grand public. «Les champignons qu’on ramasse ne sont pas les plus en danger. Les espèces aujourd’hui menacées de disparition sont extrêmement rares et se trouvent dans des écosystèmes qui le sont aussi, à l’instar des tourbières, explique à Libération Yann Sellier, mycologue qui a participé aux travaux de classification. Cependant, tous les champignons sont importants car ils sont en symbiose avec les arbres. Ils les nourrissent par les racines, en leur donnant de l’eau, des sels minéraux, du phosphore, du magnésium… Sans les champignons, les arbres meurent de faim. Ils dégradent aussi le bois mort et les feuilles, recyclent la matière, ce qui apporte des nutriments pour former des feuilles au printemps.»

L’espèce qui suscite le plus d’inquiétudes est le lactaire des saules réticulés, dont on soupçonne qu’il a disparu de la dernière zone où il s’épanouissait en 2019, lors de l’aménagement d’une station de ski en Haute Tarentaise. Il a donc été classé «en danger critique», tout comme le lactaire jaune et lilas, aux lames teintées de mauve, notamment présent en bordure d’une tourbière dans le Jura. Dans la catégorie inférieure, «en danger», suivent le bolet de plomb (qui tient son nom de sa grande densité), le bolet rubis (chapeau châtain et pied ponctué de carmin), le lactaire jaunissant boréal (qui pousse souvent sous les vieux arbres), le lactaire faux trivial (habitué aux sols humides de Haute-Savoie), ainsi que le tricholome brûlant (au chapeau conique jaune et également présent dans les Alpes).

Le bolet rose pastel (dont la chair vire au bleu clair à la découpe), le lactaire mamelonné des tourbières (au petit chapeau brun froissé), le lactaire humide alpin (amateur de prairies), le lactaire des saules herbacés (présent dans la Vanoise et qui vit exclusivement en symbiose avec une espèce de saule nain), ainsi que le tricholome équestre des chênes (au grand chapeau brun et appelé Bidaou dans les landes de Gascogne) se trouvent classés «vulnérables».

Des pratiques à revoir pour une meilleure protection

Pourquoi ces champignons sont-ils décimés ? «Les principales menaces pour ces espèces sont la destruction et la dégradation de leurs habitats naturels, incluant la sylviculture intensive avec l’abattage des vieux arbres et les coupes rases [abattage de parcelles entières de forêt, ndlr], la conversion de certaines forêts en terres agricoles, ainsi que l’urbanisation et les aménagements touristiques en montagne», ajoute le communiqué de l’UICN. La responsabilité du changement climatique est aussi à prendre en compte : il participe à assécher l’habitat des espèces habituées aux milieux frais et humides. Il augmente également «la fréquence des tempêtes, des sécheresses et des incendies pour les espèces forestières», poursuit l’UICN. Enfin, des pratiques particulièrement néfastes sont pointées du doigt : le drainage et le remblaiement des zones humides, l’épandage d’engrais et de fongicides ou le pâturage intensif. «Pour les champignons des prairies naturelles, vous mettez un coup d’engrais, l’effet est ravageur : ils disparaissent pendant des dizaines d’années, c’est toxique pour eux, avertit Yann Sellier. Il faut changer nos manières de faire et respecter le vivant, ne pas faire des coupes à blanc, respecter les sols, garder du bois mort dans les forêts…»

Les scientifiques précisent que «si seuls 3,8% des champignons apparaissent aujourd’hui menacés, ce pourcentage devrait augmenter lorsque les connaissances auront progressé pour préciser leur état de conservation», car pour de nombreuses espèces les données sont insuffisantes pour déterminer si elles sont en danger. Ils rappellent qu’à ce jour qu’aucun champignon «ne fait l’objet d’un programme de conservation dédié ou de mesures de protection» et soulignent «l’importance de la lutte contre le changement climatique et de la préservation des milieux naturels, notamment forestiers, pour sauvegarder la diversité des espèces et le patrimoine mycologique de notre territoire».