Dans un décor noirci autour du mont Redon et ses 1 580 mètres d’altitude, les chants d’alouettes se font entendre, tandis que les rapaces planent au-dessus des cendres : sur les hauteurs du massif du Sancy (Puy-de-Dôme), la nature reprend ses droits après l’incendie qui a dévasté 200 hectares en avril, mobilisant jusqu’à 200 pompiers et 50 engins. Le sentier serpente entre touffes rases et silhouettes végétales assombries. Sous les pas, le sol libère encore par endroits des bouffées d’odeur de bois brûlé. «Ici, tout était noir en avril», se souvient un promeneur, alors que des grappes de randonneurs arpentent le paysage sans trop se soucier des zones encore calcinées. Le conservateur de la réserve naturelle nationale de Chastreix-Sancy, Thierry Leroy, évalue que «la pelouse alpine a regagné plus de la moitié de sa surface».
Cinq mois après l’incendie, la régénération est contrastée pour qui sait regarder. Les cadavres végétaux craquent sous le pied lorsqu’on s’éloigne du sentier. Les landes à genêt purgatif renaissent lentement, le noir profond de leurs branches calcinées tranchant avec le vert tendre des nouvelles pousses. Les toxines émises par le genêt freinent la germination d’autres plantes, mais la gentiane persiste et quelques bosquets épargnés forment une oasis au milieu des cendres. Par endroits, framboisiers, ronces et épilobes recolonisent déjà les sols nus, minéralisés par les cendres.
Réservoirs de vie
Si la reprise est si rapide, «c’est que le feu a épargné certains endroits refuges comme les éboulis, talwegs, ruisseaux et dépressions. Ce morcellement est dû au vent tournant qui a parfois fait sauter le feu par-dessus certaines zones, ou l’a fait passer très rapidement», détaille Thierry Leroy. Ces poches de végétation ont servi de réservoirs de vie. Le sol, brûlé sur seulement 2 ou 3 centimètres, a protégé racines et semences. Les cendres, elles, ont joué leur rôle fertilisant. La qualité écologique du site a fait le reste : la réserve naturelle nationale gérée par le parc régional des volcans d’Auvergne maintient un milieu riche et résilient, capable d’absorber un choc et de repartir vite.
La faune, quant à elle, a été relativement préservée : les oiseaux migrateurs n’étaient pas encore revenus, tandis que les alouettes, pipits, mouflons et autres chamois ont gagné des zones épargnées. Les marmottes, de leur côté, sont restées à l’abri dans leurs terriers. Les invertébrés, larves et œufs ont été plus affectés. En ce mois d’août, quelques papillons font la course au ras du sol mais la densité d’insectes reste moindre et certaines espèces d’oiseaux ont choisi de se reproduire ailleurs.
«Limiter la pression humaine»
Trois jours après l’incendie, les sentiers étaient rouverts, simplement signalés par des panneaux invitant à la vigilance. Sur la crête, deux couples s’arrêtent, le souffle coupé par le panorama, ignorant qu’une partie du paysage a brûlé au printemps. Plus bas, des groupes de marcheurs longent la pelouse calcinée sans trop s’en soucier. D’autres, en familles ou solitaires, enjambent tranquillement les échelles en bois installées sur les clôtures. Ils suivent le parcours pour rejoindre Fracture, du plasticien Hugo Livet. l’une des dix œuvres monumentales disséminées dans le massif de Sancy pour la 19e édition du rendez-vous estival Horizons Arts-Nature. Ici, on marche autant pour la beauté des paysages que pour le plaisir de tomber nez à nez avec une installation surprenante au détour d’un sentier.
La prévention se résume désormais à rappeler, lors des périodes sèches, l’interdiction des feux. L’équipe de la réserve n’a pas changé sa façon de travailler. Elle protège plus de 5 500 espèces de plantes ou d’animaux, dont quelque 800 rares, et environ 200 menacées vivant sur les crêtes, comme la jasione crépue d’Auvergne ou le saxifrage de Lamotte. «Le réchauffement climatique modifie le contexte. Moins de neige, des périodes d’ensoleillement plus longues et des vents asséchants augmentent le risque d’incendie en hiver», prévient Thierry Leroy. Pour lui, «le rôle de la réserve reste crucial : elle limite la pression humaine et maintient des conditions favorables à la biodiversité, même face au réchauffement climatique. Certaines espèces disparaîtront, mais nous pouvons encore protéger l’ensemble du système et offrir des zones où la nature peut s’exprimer pleinement».