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Interview

«L’abaissement de la protection du loup en Europe est une décision politique, infondée scientifiquement»

La biodiversitédossier
Les Etats membres de la Convention de Berne, qui assure la protection de la faune, ont approuvé ce mardi 3 décembre un déclassement du statut de «Canis lupus», d’espèce «strictement protégée» à «protégée». Une décision analysée par Jean-David Abel, de France Nature Environnement.
Au Zoo de Zurich, en Suisse, en juillet 2009. (Steffen Schmidt/AP)
publié le 3 décembre 2024 à 20h19

Haro sur le loup. La grande majorité des 49 Etats membres de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (signée en 1979), ou Convention de Berne, a approuvé ce mardi 3 décembre à Strasbourg un déclassement du statut de protection de Canis lupus, qui va passer d’espèce «strictement protégée» à «protégée». Ces pays ont suivi une proposition en ce sens de l’Union européenne (UE) datant de 2023 et officiellement adoptée en septembre par ses Etats membres. «La modification entrera en vigueur dans trois mois, sauf si au moins un tiers des parties à la Convention de Berne (17) s’y oppose», précise le Conseil de l’Europe, qui héberge la Convention. Dans le cas contraire, la décision entrera en vigueur uniquement dans les pays qui n’ont pas formulé d’objections. Dans l’UE, elle devra ensuite être transposée dans la directive Habitats de 1992, en vertu de laquelle la plupart des populations de loups en Europe bénéficient d’une protection stricte, assortie de possibilités de dérogation. En France, le vote de la Convention de Berne «ne va pas changer grand chose», pronostique auprès de l’AFP Dominique Humbert, président de l’Observatoire du loup, car Paris autorise déjà, par dérogation, à tuer le canidé dans des conditions très précises pour protéger des troupeaux.

Partout dans l’Union, la décision prise ce mardi à Strasbourg permettra d’abattre plus facilement le canidé. Le loup, qui avait été exterminé au début du XXe siècle dans plusieurs pays, dont la France, a fait un grand retour ces dernières années, pour atteindre 20 300 individus en 2023 dans l’UE. De quoi susciter la colère d’éleveurs dénonçant des attaques de troupeaux. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ainsi salué mardi «une nouvelle importante pour nos communautés rurales et nos éleveurs» car «il nous faut une approche équilibrée entre la préservation de la faune et la protection de nos modes de vie». De leur côté, en revanche, les associations de protection de la nature et des animaux mettent en garde contre un risque de fragilisation de l’espèce. Membre de l’une d’elles, Jean-David Abel, en charge du dossier loup à France Nature Environnement, dénonce une décision «purement politique» et «non fondée sur la science.»

La décision des membres de la Convention de Berne vous semble-t-elle justifiée ?

Absolument pas. La procédure et les décisions relatives à la conservation et à la gestion de la faune et de la flore sauvages réclament en principe que les discussions soient fondées sur des rapports scientifiques et des données récentes, quel que soit le point abordé. En l’occurrence, la note fournie par la Commission européenne en appui à sa proposition de déclasser la protection du loup disait elle-même que cette espèce n’est pas bien préservée dans les pays de l’UE. Le statut de conservation du loup n’est favorable que dans 18 des 39 régions biogéographiques de l’UE.

Le Large Carnivore Initiative for Europe, instance scientifique issue de l’Union internationale de conservation de la nature qui réunit les experts sur lesquels l’UE a fondé toutes ses décisions depuis des décennies, a déclaré son opposition à ce déclassement et a produit en novembre une note fournie disant globalement la même chose que ce que qu’affirment les ONG depuis des mois. Les scientifiques y écrivent notamment que dans l’UE, «il ne semble pas y avoir eu d’augmentation notable des dommages au bétail causés par les loups depuis 2022, et il en va de même pour les risques de sécurité publique».

La décision de déclasser le statut de protection du loup est purement politique, et non fondée sur la science. Dans ce sens, c’est une première lourde de sens, la Convention s’étant toujours attachée par le passé à formuler des décisions justement fondées sur la science.

Quelles seront les conséquences de ce déclassement pour le loup ?

Il peut y en avoir plusieurs. D’abord, le signal donné peut être compris comme signifiant que l’espèce va bien et qu’elle a un développement tel qu’on peut «taper» dans ses effectifs, ce qui risquerait clairement d’accroître les destructions illégales de loups. La seconde conséquence pourrait être, après une nécessaire modification de la directive Habitats, de faciliter juridiquement les possibilités de destructions de loups, hors de la stricte protection des troupeaux, notamment par des actes de chasse. Pour autant, tant dans la Convention de Berne que dans la directive, le déclassement devra être accompagné de mesures pour que le prélèvement de loups reste compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable. Les mesures de «gestion» éventuellement mises en œuvre devront faire l’objet d’un système de surveillance, de façon que l’Etat français garantisse à l’Union qu’il n’organise ni ne permet la régression de la population présente en France.

Cette décision risque-t-elle de menacer d’autres espèces protégées ?

Dès l’annonce de la proposition de la Commission, des pays de l’UE ont demandé la possibilité de «réguler» des espèces sauvages, même si celles-ci ne sont nullement en bon état démographique, comme les ours ou les cormorans. Dans ce sens, cette décision de la Convention est un très mauvais signal. Depuis des décennies, le cadre scientifique et stratégique donné tant par la Convention que par la directive Habitats vise au respect des espèces et des écosystèmes, mais aussi à la restauration d’espèces que des choix humains avaient soit effacées du paysage, soit reléguées dans des portions congrues de territoire. Le succès de ces orientations concernant la restauration des populations de certaines espèces est incontestable, sur le fondement du vieil adage naturaliste : «Quand on ne les tue pas, ils vivent.»

Le climat réactionnaire actuel, en défaveur du choix politique et éthique de coexister avec toutes les formes de vie sauvage, est bien sûr inquiétant. Il l’est d’autant plus qu’il ne correspond pas aux attentes des populations des pays européens mais est issu de pressions de groupes d’intérêts relayés par des responsables politiques sans courage ni vision. Cela contraste avec ce que des majorités précédentes, de sensibilités différentes, avaient été capables de proposer comme horizon en réponse aux préconisations du monde scientifique et aux attentes des opinions.