Cela fait quatre mois que «l’écoguerrier» Paul Watson est derrière les barreaux de la prison de Nuuk, au Groenland. L’activiste à la crinière blanche a été arrêté le 21 juillet dans le port de la capitale de ce territoire autonome danois alors qu’il comptait traquer le Kangei Maru, nouveau navire usine japonais dédié à la chasse à la baleine. Pour Libération, Lamya Essemlali, proche du fondateur de l’ONG Sea Shepherd, revient sur les conditions de détention du défenseur des cétacés qui risque l’extradition vers le Japon. La présidente de Sea Shepherd France décrypte les rouages de cette affaire très politique, où d’un côté, les Japonais souhaitent se débarrasser d’un ennemi de longue date, tandis que le Danemark tente de satisfaire les îles Féroé et le Groenland, territoires à la soif d’indépendance inassouvie dont l’histoire avec Sea Shepherd n’est pas sans remous.
Enquête
Vous étiez à Nuuk, au Groenland, le 13 novembre, pour assister à la dernière audience de demande de remise en liberté de Paul Watson. Que s’est-il passé ?
Les audiences sont de plus en plus courtes et celle-ci a été particulièrement expéditive. En y allant, nous n’avions aucun espoir que Paul soit libéré. D’habitude, la procureure fait son réquisitoire, puis la parole est à la défense et le mot de la fin revient à Paul. Mais cette fois-ci, c’était différent puisque tout avait déjà été dit plusieurs fois. Malgré tout, le discours de Paul, très digne, a quelque peu ébranlé le juge. Mais cela n’a pas suffi. La décision avait été prise d’avance, le juge n’a pas levé la séance pour délibérer et a prononcé un nouveau maintien en détention jusqu’à la décision du ministère de la Justice danoise. Il refuse toujours de regarder les preuves de son innocence [les séquences vidéo analysées dans notre enquête, ndlr]. Le système dysfonctionne complètement. Notre sentiment d’injustice est de plus en plus fort, l’écœurement aussi. La prochaine audience devait avoir lieu le 4 décembre mais pour des «raisons techniques», elle se fera le 2 décembre, jour de l’anniversaire de Paul [il aura 74 ans, ndlr]. Je pense qu’ils le savent…
Comment traverse-t-il cette épreuve judiciaire physiquement et psychologiquement ?
Physiquement, heureusement que je lui amène son traitement pour le diabète et l’hypertension. Au début, ils voulaient lui donner des alternatives groenlandaises qui ne lui convenaient pas du tout. J’ai dû leur faire parvenir l’ordonnance de son médecin français pour qu’ils acceptent de lui transmettre ses médicaments en prison. C’est inadmissible, j’étais inquiète pour sa santé. Il a également été blessé à la main lorsqu’il a été menotté au cours de son arrestation, puis mis à l’arrière d’un convoi sans être attaché en étant ballotté. Personne ne l’a soigné, j’ai dû lui apporter une attelle depuis la France pour son poignet. Mais le plus dur pour lui, psychologiquement, c’est l’arrachement à ses enfants. Ils ont 3 et 8 ans. Il a manqué leurs deux anniversaires et ne peut les contacter que dix minutes par téléphone chaque semaine.
Quelles sont ses conditions de détention ?
Paul a une belle vue sur le fjord depuis sa cellule. Au début, il pouvait même apercevoir des baleines de temps en temps, mais c’est l’hiver, elles sont parties. Il a une cellule pour lui tout seul avec une télé et regarde les films et les séries que je lui ai apportées. Il croise ses codétenus dans la cuisine commune mais comme ils sont tous inuits et parlent seulement groenlandais, ça limite les échanges… Il n’a pas d’accès à Internet, contrairement aux autres qui peuvent aller à la salle informatique et ont un téléphone. Lors des deux premiers mois de son incarcération, on pouvait l’appeler régulièrement. Mais désormais il ne peut plus recevoir que des appels de ses avocats. C’est pour ça que je viens à Nuuk à chaque audience, pour qu’il ne soit pas seul. Il reçoit énormément de courriers de soutien – 80 % vient de France – et des centaines de dessins d’enfants…
Paul Watson a été arrêté par les autorités danoises sur dénonciation des autorités des îles Féroé. Quel intérêt les Féroé ont-elles à le voir derrière les barreaux ?
Sea Shepherd et Paul sont engagés aux Îles Féroé contre les massacres de dauphins depuis 1986. Il s’agit du plus grand massacre de mammifères marins en Europe, perpétré pour des raisons traditionnelles. Entre 1 000 et 1 500 globicéphales sont tués chaque année, des familles entières. Les images sont très difficiles. Comme on mène de nombreuses missions là-bas, on n’est pas très bien perçu. Le mouvement indépendantiste est très fort dans ce protectorat autonome, ce qui n’arrange pas les affaires du Danemark en raison des gros intérêts économiques en jeu. La flotte de pêche industrielle féringienne est l’une des plus importantes au monde et Copenhague veut garder la main sur l’archipel. La question des dauphins est donc très politique. Ce fort sentiment anticolonialiste, également vif au Groenland, explique pourquoi, alors qu’il est strictement interdit de tuer des dauphins dans les eaux danoises et que le pays est signataire des conventions de protection des mammifères marins, il mobilise sa flotte militaire pour nous empêcher de sauver les dauphins ! Montrer qu’il traque Paul Watson et qu’il aide à sa capture, c’est un message fort envoyé aux îles Féroé : «Regardez, on s’attaque à l’ennemi de vos traditions. Il y a un avantage à rester avec nous.»
Le Danemark a exécuté une notice rouge d’Interpol émise par le Japon que d’autres Etats membres de l’Union faisaient mine de ne pas voir tant elle leur paraissait disproportionnée. Quels sont les liens entre les deux pays ?
Il y a également de forts intérêts économiques en jeu ; on parle de contrats de plusieurs centaines de millions d’euros sur le déploiement de chantiers éoliens au Japon. Le Danemark est le leader mondial de l’éolien offshore. Sans oublier les autres accords commerciaux. Le Danemark contente à la fois un important partenaire commercial et un archipel qui a des velléités d’autonomie. Paul est leur ennemi commun.
Entretien
Quitte à se mettre à dos une partie de l’opinion publique européenne, ou du moins française ?
Au Danemark, les médias parlent très peu de l’affaire Watson. Donc le gouvernement danois doit se dire : «On s’en fiche de l’opinion publique française.» C’est pour ça que Paul a demandé la nationalité française. Cela permettrait de faire de cette affaire un enjeu pleinement européen [Watson est Américano-Canadien, ndlr]. La France pourrait ainsi peser davantage au niveau politique et diplomatique. Pour l’instant, nous n’avons aucun retour officiel côté français. On sait que c’est en cours de discussion. Mais il faudrait que la décision soit prise vite pour qu’elle ait du sens. Tenir tête au Japon nécessite un certain courage politique. Avoir la France sur le dos offrirait peut-être au Danemark une porte de sortie.
Savez-vous quand le ministre de la Justice danois doit se prononcer sur la demande d’extradition du Japon ?
Non, nous n’avons pas de nouvelles. Il y a deux options : soit il se prononce prochainement, soit il laisse la Cour suprême statuer sur l’extradition. S’ils refusent un transfèrement au Japon, Paul sera immédiatement libéré. Dans le cas contraire – qui serait surréaliste –, nous ferons appel devant la Cour suprême et devant la Cour européenne des droits de l’homme. Notre avocat danois nous dit qu’en moyenne le délai d’instruction dans les dossiers d’extradition est d’une quinzaine de jours. Là, ça fait trois semaines que tout est sur le bureau du ministre. On espère donc que Paul sera libéré avant Noël.