Nous percevons les papillons comme des créatures éphémères qui nous ravissent de leur élégance colorée, pour bientôt disparaître. Certaines espèces perdurent pourtant des mois en phase adulte et migrent sur des milliers de kilomètres. C’est notamment les cas des monarques, qui quittent le nord-est des Etats-Unis à l’automne pour aller passer l’hiver 4 000 kilomètres plus au sud-ouest, dans une zone très restreinte du centre du Mexique. Des dizaines de millions d’individus, dont les mœurs sont plutôt solitaires en été, s’agglutinent alors sur moins de dix hectares, recouvrant certains arbres pendant les mois d’hiver.
L’effort de migration est gigantesque, à raison d’une centaine de kilomètres parcourus quotidiennement en battant des ailes par ces insectes d’un demi-gramme. La performance est d’autant plus étonnante que nombre d’entre eux transportent un passager clandestin. Du nom de Ophryocystis elektroscirrha, ce micro-organisme parasite les monarques, réduisant leur condition corporelle et leur capacité de vol. Les papillons infestés portent ce protiste (1) en eux-mêmes et sont recouverts de ses spores, qui sont transmises à la génération suivante : elles sont présentes sur la végétation consommée par les chenilles, ainsi que sur les œufs des papillons.
Zones infestées de parasites
Chez les monarques, comme chez bien des espèces animales (insectes, oiseaux, mammifères), la migration permet aux individus d’échapper à l’hiver, mais aussi de quitter des zones infestées de parasites. De plus, le voyage vers le Mexique se transforme en vol de la mort, au cours duquel les papillons les plus parasités disparaissent. Grâce à cette sélection brutale, des populations assainies parviennent à destination.
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Ce déparasitage annuel fonctionne-t-il encore à l’heure où le réchauffement climatique et l’agriculture intensive transforment les paysages visités par les monarques ? La question est pertinente et urgente, notamment parce que les populations de monarques, emblème de la nature sauvage aux Amériques, ont régressé de 80 % depuis l’an 2000. Afin d’y répondre, Ania Majewska et ses collègues de l’université Emory à Atlanta et de l’université de Géorgie, ont recueilli un demi-siècle d’informations sur les abondances et les taux de parasitage des monarques, ainsi que sur les températures et le couvert végétal de leurs habitats (2). Ce faisant, les chercheurs ont non seulement étudié les populations migratrices entre le nord-est des Etats-Unis et le Mexique, mais aussi d’autres qui se déplacent sur de plus faibles distances entre l’ouest des Montagnes Rocheuses et la Californie.
Amoureux des papillons
En inspectant 58 926 monarques de 1968 à 2019, l’équipe de recherche a constaté que les vols de la mort conservent toute leur utilité : les populations de monarques qui ne migrent que sur des courtes distances sont beaucoup plus parasitées que celles qui se déplacent sur tout le continent. De manière surprenante, les chercheurs n’ont trouvé aucun lien entre températures de l’air, changements de végétation et taux de parasitisme des papillons. Et pourtant, ces taux augmentent de manière significative depuis 2002. A qui la faute ? Les auteurs soupçonnent qu’en hiver les papillons s’agglutinent dans des zones naturelles mexicaines en constante régression, ce qui favorise la transmission du parasite. En outre, de plus en plus d’amoureux des papillons capturent, élèvent et relâchent des monarques. Leurs volières, dans lesquelles ils ont tout loisir d’observer les sublimes créatures, seraient des nids à parasites qui infecteraient chaque nouveau groupe de papillons.