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Libération
Zone d'ombre

Les trois quarts des bateaux de pêche du monde échappent à toute surveillance

En observant par satellite les eaux côtières du monde entier, et non en se basant sur les outils de surveillance officiels, des chercheurs montrent qu’une minorité seulement des navires affichent leur position réelle, d’après une étude publiée mercredi 3 janvier.
Selon l'étude, la majorité des navires de pêche industrielle non signalés se trouvent au large de l'Afrique et de l'Asie du Sud. (2023 Global Fishing Watch)
publié le 3 janvier 2024 à 19h46

Pour limiter la surpêche, encore faut-il pouvoir la quantifier. En analysant des images satellites grâce à une intelligence artificielle, des chercheurs ont réussi à recenser efficacement la réalité du trafic maritime sur l’ensemble des eaux côtières du monde entre 2017 et 2021. Un travail titanesque et des résultats détonants publiés dans le journal Nature mercredi 3 janvier. Les bateaux de pêche représentent 42 à 49 % des 23 millions de navires détectés, et seulement un quart d’entre eux sont correctement signalés sur le système automatique d’identification (AIS). En clair, les outils officiels de surveillance des embarcations sont largement contournés.

Le travail a été réalisé par l’équipe de Fernando Paolo, au sein de l’ONG Global Fishing Watch, en partenariat avec des chercheurs des universités de Duke et du Wisconsin aux Etats-Unis. Il s’agissait d’exploiter les données d’observation des satellites Sentinel-1 et Sentinel-2 de 2017 à 2021. En se limitant aux zones côtières, soit 15 % de la surface des océans, les chercheurs couvrent 75 % des activités industrielles maritimes et l’ensemble représente déjà 2 petabytes de données. C’est-à-dire 2 000 000 000 000 000 bytes. Du vrai big data.

Grâce à une intelligence artificielle, les chercheurs ont pu distinguer les structures immobiles (éoliennes, plateformes offshore) et les différents types de bateau (pêche ou autre). Ils ont ensuite comparé le trafic maritime qu’ils observaient à celui qui est décrit par le système officiel de surveillance, le système automatique d’identification. Ils se sont ainsi aperçus que 72 à 76 % des bateaux de pêches manquent sur ce système, tout comme 21 à 30 % des cargos. Des résultats à nuancer par continents. L’Europe suit à la trace 61 % de ses bateaux de pêche, contre 22 % pour l’Asie et l’Afrique, et seulement 17 % pour l’Amérique du Nord.

De quoi donner une nouvelle vision de l’industrie de la pêche et alimenter les discussions internationales sur la réglementation de l’exploitation des océans. «Les résultats fournissent une image plus complète que jamais de l’activité maritime», s’enthousiasment les chercheurs Konstantin Klemmer et Esther Rolf, dans un article de commentaire accompagnant l’étude dans Nature.

+900 % d’éoliennes en Chine

A l’inverse des données fournies par les systèmes automatiques d’identifications des navires, qui «suggèrent à tort que l’Europe et l’Asie ont une activité de pêche comparable […] notre carte mondiale révèle que l’Asie domine la pêche industrielle, représentant 70 % de toutes les détections de navires de pêche ; près de 30 % de tous les navires de pêche cartographiés étaient concentrés dans la seule zone économique exclusive (ZEE) de la Chine», écrivent les auteurs.

De même, ces données «suggèrent que les pays européens de la Méditerranée ont plus de dix fois plus d’heures de pêche dans leur ZEE que les pays africains, mais notre cartographie montre que les détections de navires de pêche sont assez équilibrées entre les parties nord et sud de la mer Méditerranée», avancent-ils encore.

Leurs observations s’étalant sur plusieurs années, les chercheurs documentent aussi l’évolution des habitudes de pêche. Ils ont ainsi vu le trafic de chalutiers diminuer de 12 % à l’arrivée du Covid-19 mais pas celui des cargos. Ils ont aussi observé l’essor des éoliennes en mer : + 49 % au Royaume-Uni entre 2017 et 2021, +28 % en Allemagne, mais surtout +900 % en Chine ! Les auteurs espèrent que leurs outils «librement accessibles» permettront de mettre au jour les «points chauds de la pêche illégale», de mieux suivre les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités maritimes et d’enfin faire émerger une cartographie exacte des activités humaines en mer.