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Scier la branche...

Liste rouge de la nature : un arbre sur trois est menacé d’extinction

La biodiversitédossier
En pleine COP16 sur la biodiversité, l’Union internationale pour la conservation de la nature révèle ce lundi 28 octobre sa première évaluation mondiale des arbres. Plus de 15 000 essences sont en danger, du fait de l’exploitation forestière et de l’agriculture.
Les essences de magnolias font partie des espèces menacées. (Sebastián Vieira/Salvamontes Colombia)
publié le 28 octobre 2024 à 18h14

Les animaux, les fleurs, et désormais les arbres. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a actualisé, ce lundi 28 octobre, sa liste rouge des espèces menacées d’extinction en y ajoutant, pour la première fois, une évaluation mondiale sur l’état de nos arbres. En pleine COP16 sur la biodiversité, les membres de cette institution rassemblant gouvernements et société civile ont présenté depuis Cali, en Colombie, les résultats d’une décennie de travail de recensement des essences, plus de 47 000 au total (sur 58 000 estimées dans le monde), pour en venir à un constat prévisible : l’état de santé des arbres est au plus mal. Pas moins de 38 % d’entre eux sont menacés d’extinction, à l’instar de l’éléphant de Bornéo, du lézard géant d’Espagne ou des cactus du désert d’Atacama. Soit un arbre sur trois en danger, dans 192 pays différents.

La déforestation, au profit de l’agriculture intensive ou par surexploitation du bois, les parasites et les espèces invasives, ainsi que le changement climatique causé par l’humanité font partie des principales menaces citées par l’UICN. Par ricochet, la disparition d’espèces d’arbres «menace directement des milliers d’autres espèces, plantes, champignons et animaux, démontrant à quel point la nature est interconnectée», souligne la directrice générale de l’UICN, la costaricaine Grethel Aguilar. L’humanité dépend elle aussi des forêts pour son alimentation, le bois de chauffage ou de construction, les médicaments, l’assainissement de l’air et la régulation du climat, par l’absorption de sa pollution carbone. «Les arbres sont fondamentaux pour des milliards d’êtres humains. Au Costa Rica, j’ai pu constater à quel point ils étaient un soutien pour l’économie et les populations locales», ajoute la directrice.

Eucalyptus et magnolias

Le marronnier d’Inde, connu en Europe pour ses vertus médicinales, le mahogany grandes feuilles, un acajou précieux d’Amérique latine, ainsi que de nombreuses autres espèces, parmi lesquelles des eucalyptus et magnolias, sont aujourd’hui vulnérables. «Ici en Colombie, deuxième pays avec la plus grande diversité d’espèces d’arbre du monde, sept cent sont menacés d’extinction», démontre Megan Barstow, conservatrice au Botanic Gardens Conservation International, à Londres. La France n’est pas épargnée : la mortalité des arbres a doublé en dix ans dans nos forêts.

Selon le rapport, «le changement climatique menace de plus en plus les arbres, en particulier sous les tropiques, par l’élévation du niveau de la mer et des tempêtes plus fortes et plus fréquentes» et «la proportion la plus élevée d’arbres menacés se trouve sur les îles […] en raison de la déforestation pour le développement urbain et agricole» et des attaques «des espèces invasives, des ravageurs et des maladies». L’Amazonie en est l’un des exemples les plus connus au monde.

Soigner tous ces maux est justement la difficile tâche des pays réunis jusqu’au 1er novembre à Cali, en Colombie, pour la COP16 sur la biodiversité. Ils sont censés trouver un terrain d’entente pour débloquer l’argent et les engagements nécessaires pour tenir l’objectif de stopper d’ici à 2030 la destruction de la biodiversité, comme décidé lors de la COP15 en 2022 avec l’adoption de l’accord de Kunming-Montréal.

En Amérique du Sud – qui abrite la plus grande diversité d’arbres au monde – plus de 3 000 essences des 13 668 espèces documentées sont menacées d’extinction, selon l’UICN. Au total, la liste rouge de l’UICN comprend désormais 166 061 espèces analysées, dont 46 337 sont considérées comme menacées d’extinction et 10 235 en danger critique. La sylviculture est également menacée, avec plus de 5 000 espèces de la liste rouge utilisées pour le bois de construction, et plus de 2 000 par l’industrie pharmaceutique ou alimentaire. Pourtant, «la plupart des 100 entreprises les plus importantes au monde dans le domaine du bois tropical et de la pâte à papier ont fait peu de progrès dans la publication de leurs engagements sur la déforestation zéro et la traçabilité», déplore Sam Ross, analyste à la société zoologique de Londres.

«La tâche est énorme, mais elle a déjà commencé»

«Plus des deux tiers des espèces d’oiseaux menacées au niveau mondial dépendent des forêts», souligne Cleo Cunningham, responsable climat et forêts à Birdlife International, appelant aussi à agir «pour les communautés locales et les peuples autochtones qui dépendent des forêts». Grâce à ce travail titanesque, les experts considèrent qu’il n’y a plus aucune excuse pour ne pas agir, car nous savons désormais où placer nos efforts de conservation. «Avec un si grand nombre d’espèces d’arbres menacées, la tâche est énorme, mais elle a déjà commencé», estime Jean-Christophe Vié, directeur général de la Fondation Franklinia, financeur majeur de l’évaluation.

Mais planter des arbres ne suffira cependant pas. Ce dernier plaide par ailleurs pour de meilleurs programmes de reforestation, «diversifiant les espèces et incluant celles en danger». «Il existe des centaines d’exemples de conservation qui ont réussi», se réjouit Megan Barstow, qui semble peser ses mots : «oui, c’est possible. Maintenant que nous savons, nous avons la possibilité et l’obligation d’agir».