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Pêche

L’UE veut interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées

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Dans un plan dévoilé ce mardi, la Commission européenne détaille ses ambitions pour le secteur de la pêche d’ici 2030 : plus d’aires marines protégées, chalutage interdit dans celles-ci, meilleure exploitation des stocks de poissons et bateaux moins énergivores.
Des pêcheurs à Sète travaillent sur un chalutier de fond, le 18 mars 2021. (Maxime Gruss/Hans Lucas. AFP)
publié le 21 février 2023 à 18h37

La Commission européenne dévoile ce mardi un plan pour «verdir» le secteur de la pêche. Dix ans après l’importante réforme de la Politique commune de la pêche, des «transformations structurelles» sont indispensables pour réduire l’impact environnemental du secteur, tout en garantissant sa rentabilité et sa neutralité carbone d’ici 2050, reconnaît le commissaire européen à l’environnement Virginijus Sinkevicius. Une intention louable mais qui manque d’ambition, dénoncent les ONG de protection de la nature.

Un tiers des stocks – la partie exploitable d’une population de poissons – est encore victime de surpêche dans l’Atlantique Nord-Est, contre quelque 70 % dans les années 2000. De même, quelque 85 % des stocks en Méditerranée restent surexploités aujourd’hui. Alors que les pêcheurs ont l’obligation de ramener à terre l’ensemble de leurs captures, y compris celles qui ne respectent pas les critères de taille, ceci afin de limiter les prises «accidentelles» rejetées en mer, cette «obligation de débarquement» reste peu appliquée selon Bruxelles.

30 % d’aires marines protégées d’ici 2030

Ce nouveau «plan d’action» de la Commission appelle donc les Etats à fixer leurs quotas de capture annuels de façon plus transparente, en respectant les niveaux maximaux recommandés par les scientifiques. Surtout, les Etats seront désormais tenus d’adopter des mesures pour «éliminer progressivement» d’ici 2030 le chalutage de fond dans les zones marines protégées, soit 12 % des eaux européennes actuellement, et 30 % visés d’ici 2030, quelle que soit leur profondeur. Chaque pays devra établir sa feuille de route d’ici mars 2024. Bruxelles les évaluera, avant de proposer si besoin une nouvelle législation.

L’UE interdit déjà le chalutage en dessous de 800 mètres depuis 2016, pour aider à restaurer les écosystèmes vulnérables des fonds marins, dotés d’une riche biodiversité. Mais l’usage d’engins de fond mobiles (chaluts, dragues, filets maillants, palangres, casiers…) «reste très répandu», dans 80 % à 90 % des zones exploitables de l’Atlantique Nord-Est et «dans de nombreux sites Natura 2000 et autres zones protégées», déplore l’exécutif européen. De quoi compromettre les objectifs des Vingt-Sept en termes de climat et biodiversité : Bruxelles dénonce une pratique très gourmande en carburant et forte émettrice de CO2, qui, en raclant les fonds, détruit des écosystèmes qui constituent des puits de carbone, fragilise les populations de poissons qui s’y reproduisent, et favorise des prises accidentelles «disproportionnées» faute de sélectivité.

La Commission demande aussi aux Etats d’étendre les «zones marines protégées» pour atteindre l’objectif de 30 % de l’espace marin fixé dans le plan biodiversité européen, et d’établir des limites aux prises accidentelles pour certaines espèces vulnérables (dauphin du golfe de Gascogne, marsouins, raies…) Enfin, Bruxelles détaille son ambition de rendre les bateaux et engins de pêche moins gourmands en carburants et d’encourager leur passage aux énergies propres (hydrogène, biocarburants, électricité…), une «transition difficile et progressive» qui sera discutée «en coordination» avec Etats et pêcheurs.

Car l’objectif est aussi de réduire la dépendance aux carburants fossiles : «Les prix du gazole marin ont plus que doublé en 2022, avec une facture énergétique équivalant à 35 % des revenus du secteur, contre 13 % en 2020», souligne Virginijus Sinkevicius. Bruxelles appelle les Etats à «mieux utiliser les fonds européens» disponibles pour compenser les «impacts socio-économiques à court terme», moderniser les navires et financer la recherche.

«C’est trop peu, trop lent»

Les associations de pêcheurs, elles, décrient ce plan qu’elles jugent trop contraignant. L’Alliance européenne pour la pêche de fonds (EBFA), qui représente 20 000 pêcheurs de 14 pays, juge que l’interdiction du chalutage dans les zones protégées mettra «en danger 7 000 navires» correspondant à «25 % des volumes débarqués dans l’UE et à 38 % des revenus totaux de la flotte européenne». De plus, cette mesure serait «injustifiée» car «certaines zones ont été définies pour préserver des oiseaux et tortues» sans lien avec les fonds. «Le seul résultat sera de déplacer les efforts de pêche, accroissant le carburant consommé et les répercussions indésirables sur les stocks», voire inciter l’UE à importer davantage de poisson, insiste son président Ivan Lopez.

De son côté, l’ONG Bloom déplore que le texte ne soit pas contraignant et qu’il ne pose que des recommandations aux échéances lointaines : «La Commission a choisi de renoncer à son pouvoir politique en ne sortant qu’un ‘Plan d’action’ qui fait reposer sur les États membres de l’UE la responsabilité d’agir.» Tout de même, elle salue que l’instance fasse sienne «certaines des recommandations des scientifiques et des associations de protection de l’environnement» en appelant les Etats «à interdire tous les engins de pêche qui entrent en contact avec le fond dans toutes les aires marines protégées de l’Union européenne». La Commission, dit l’ONG, «fixe au moins quelques critères clairs qui nous permettront de mettre fin à l’imposture des aires marines protégées ‘à la française’.»

Pour Rebecca Hubbard, de la coalition d’ONG écologistes Our Fish, «c’est trop peu, trop lent [et] loin du calendrier urgent qu’il faudrait». En effet, l’UE tolérera le chalutage de fond encore sept ans dans les aires protégées et après 2030 en dehors, abonde l’ONG Oceana, dénonçant «le décalage marqué entre le constat et la faiblesse des actions proposées».

Mise à jour : à 19 h 15 avec les déclarations de l’ONG Bloom.