La superficie détruite est quasiment équivalente à celle du Bhoutan. L’an dernier, les régions tropicales ont perdu 3,7 millions d’hectares de forêt primaire, selon les données publiées jeudi par le World Resources Institute (WRI) avec l’université du Maryland. Les raisons sont diverses : déforestation pour l’agriculture, exploitation forestière, destruction accidentelle ou encore incendies.
Ces pertes restent à un niveau «obstinément élevé», quasiment identiques à celles de 2019 et 2021, déplorent les auteurs. Cependant, elles sont en baisse de 9 % par rapport à l’année précédente, avec une nette amélioration au Brésil et en Colombie, en partie compensée par des augmentations dans d’autres pays. Le rapport se concentre sur les forêts tropicales, davantage sujettes à la déforestation volontaire et très importantes du point de vue de la biodiversité et pour leur capacité à absorber le carbone.
Des changements politiques à l’œuvre
«Le monde a fait deux pas en avant et deux pas en arrière l’an dernier», a résumé Mikaela Weisse, du WRI, lors d’une présentation à la presse. Du côté des bonnes nouvelles, la réduction de la forêt primaire au Brésil a chuté de 36 % l’an dernier, à son plus bas niveau depuis 2015, bénéficiant des mesures de protection mises en place par le président Luiz Inácio Lula da Silva, pour la première année de son nouveau mandat. La tendance cache toutefois des disparités dans le pays, avec une très nette amélioration en Amazonie mais une dégradation dans le Cerrado, épicentre de l’agriculture nationale.
En Colombie, la réduction de la couverture forestière a chuté de 49 %, une tendance qui fait suite à l’élection à l’été 2022 de Gustavo Petro, premier président de gauche de l’histoire du pays, qui tente depuis lors de négocier la paix avec les différents groupes armés opérant dans les provinces. La conservation de la forêt figure explicitement parmi les objectifs de ces pourparlers, note le WRI.
Les améliorations «impressionnantes» dans ces deux pays «soulignent l’importance du «leadership» et des changements de politique pour ce qui concerne la protection des forêts», remarque Mikaela Weisse. «Nous devons apprendre des pays qui ralentissent avec succès la déforestation ou bien nous continuerons à perdre rapidement l’un de nos outils les plus efficaces pour combattre le changement climatique, protéger la biodiversité et soutenir la santé et les moyens de subsistance de millions de personnes», alerte-t-elle.
Encore sur la mauvaise trajectoire
Ces progrès ont été en partie contrebalancés par une nette dégradation de la tendance en Bolivie, au Laos ou encore au Nicaragua. En Bolivie, la destruction de la forêt a été alimentée par les feux et la production agricole, notamment de soja, essentiellement destiné à l’alimentation animale pour l’industrie de la viande. L’agriculture a aussi joué un rôle central au Laos, sous la pression de la demande en provenance de Chine, comme au Nicaragua. Hors des tropiques, le Canada s’est distingué par une saison des feux la plus dévastatrice jamais enregistrée, qui a multiplié par cinq la surface boisée détruite dans ce pays l’an dernier par rapport à 2022.
Au total, malgré des progrès dans certains pays, le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour tenir les engagements pris à la COP26 de Glasgow en 2021, quand plus de 140 dirigeants s’étaient engagés à stopper la déforestation d’ici 2030. «Est-ce qu’on est en bonne voie ? Pour faire court : non», a résumé Rod Taylor, du WRI, notant un écart important par rapport à la trajectoire nécessaire à six ans de l’échéance. Il calcule : «La déforestation en 2023 était quasiment deux millions d’hectares au-dessus du niveau nécessaire pour être sur le bon chemin.»