Des chiens haletant au milieu d’une place. En pleine sieste sur un trottoir bondé. Ou furetant entre les tables d’une terrasse. A Istanbul, l’omniprésence des chiens n’a rien de surprenant. A la différence de nombreux pays, les animaux errants (chats inclus) font partie intégrante du quotidien de millions de Turcs, prompts à leur offrir nourriture et affection. Mais ces dernières semaines, un projet de loi à leur sujet soulève les foules et l’opposition. Et amène à montrer les crocs.
L’examen du texte controversé a commencé ce dimanche 28 juillet et devrait durer plusieurs jours. L’objectif pour l’Assemblée : réguler l’importante population de chiens vagabonds, estimée à quatre millions dans le pays. «Nous sommes confrontés à une population de chiens errants que l’on ne rencontre dans aucun autre pays civilisé [et qui] croît de façon exponentielle», a déclaré mercredi le président turc, Recep Tayyip Erdogan, affirmant que «la nation [turque] veut que nous résolvions ce problème». Dans le détail, les partisans de la mesure souhaitent pouvoir euthanasier les animaux malades ou ceux ayant un «comportement négatif».
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Impensable pour l’opposition et les défenseurs des animaux qui dénoncent le lancement d’une campagne d’euthanasie décomplexée. Pas vraiment prêt à lâcher son os, le gouvernement se défend de cette accusation. Inquiet d’une augmentation des attaques et des cas de rage, il assure vouloir plutôt miser sur un placement en refuge afin d’encourager leur adoption. Mais là aussi, les détracteurs du projet de loi n’en démordent pas : pour eux, la stérilisation est préférable à l’enfermement.
La tragédie de l’île maudite
Depuis, le ton entre les deux camps monte. «Notre peuple veut des rues sûres», martèle le président Erdogan. Son clan, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), ainsi que ses alliés disposent d’une majorité absolue à l’Assemblée. Et donc de bonnes chances de faire adopter le texte. Dans cette optique, l’opposition prévoit déjà de faire barrage au texte : le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), deuxième force à l’Assemblée et qui contrôle les plus grandes villes du pays, dont Istanbul et la capitale, Ankara, affirme que ses maires n’appliqueront pas la loi.
Des manifestations contre le texte ont eu lieu ces dernières semaines, jusque dans l’enceinte du Parlement à Ankara. En réponse, le gouvernement menace de prison les maires récalcitrants, et l’accès au Parlement a été interdit cette semaine aux visiteurs pour prévenir tout débordement. L’exécutif veut en outre multiplier par trente l’amende prévue en cas d’abandon d’un chien, pour la porter à 60 000 livres turques, soit près de 1 700 euros.
En Turquie, le sort des chiens errants est un sujet sensible, ravivant de douloureux souvenirs. Un en particulier : celui de la tragédie de Hayirsizada (l’île maudite, en turc). En 1910, les autorités ottomanes, désireuses de moderniser Istanbul, déportèrent des dizaines de milliers de chiens errants sur une île déserte en mer de Marmara, où ils s’entredévorèrent et moururent de faim et de soif.