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Primates

Même après des années de séparation, chimpanzés et bonobos peuvent reconnaître leurs vieux potes

Dans une étude publiée lundi 18 décembre, des chercheurs de l’université de Berkeley en Californie ont découvert que certains grands singes peuvent reconnaître des membres de leur groupe qu’ils n’ont pas vus depuis plus de vingt ans. Il s’agit de la mémoire la plus longue jamais enregistrée, en dehors des êtres humains.
Les scientifiques ont montré à des primates des photos de singes inconnus et de congénères connus qu’ils n’avaient pas vu depuis des années. (Andrey Gudkov/Biosphoto via AFP)
publié le 19 décembre 2023 à 17h11

Il n’y a pas que les êtres humains qui sont physionomistes. Les singes, eux aussi, se souviennent des traits d’un visage qu’ils ont déjà croisé, reconnaissant ses contours, ses caractéristiques et ses particularités. Dans une étude publiée lundi 18 décembre dans la prestigieuse revue scientifique PNAS, revue officielle de l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis, plusieurs chercheurs ont découvert que les chimpanzés et les bonobos peuvent se souvenir des faciès d’autres primates qu’ils n’ont pas vus depuis des années. Voire des décennies.

Selon la docteure Laura Lewis, anthropologue et psychologue spécialiste des grands singes qui a dirigé cette étude, ces résultats renforcent la théorie selon laquelle la mémoire à long terme chez les humains, les chimpanzés et les bonobos provient d’un même ancêtre commun, qui vivait il y a environ sept millions d’années.

Le regard au centre des recherches

Laura Lewis et ses collègues ont mené cette expérimentation sur 26 singes répartis dans le zoo d’Edimbourg en Ecosse, le sanctuaire de Kumamoto au Japon et le zoo de Planckendael en Belgique, en utilisant des caméras de suivi oculaire à infrarouge. Plusieurs images ont ainsi été présentées aux bonobos et aux chimpanzés en question : des photos de singes inconnus d’un côté, et des images de congénères connus qu’ils n’avaient pas vu depuis des années de l’autre.

Les chercheurs ont constaté que les yeux des participants s’attardaient beaucoup plus longtemps sur les images de ceux avec qui ils avaient vécu auparavant, ce qui suggère un certain degré de reconnaissance. Plus remarquable encore : une bonobo nommée Louise n’avait pas vu sa sœur, Loretta, ni son neveu, Erin, depuis plus de vingt-six ans. Mais lorsque les chercheurs ont montré leurs images à Louise, ses yeux se sont fixés sur les photos. Cette prouesse constitue un record de mémoire sociale au-delà de notre espèce. L’ensemble des données «suggère que les grands singes peuvent se souvenir de leurs partenaires sociaux pendant beaucoup plus longtemps, jusqu’à vingt-six ans – soit une grande partie de leur espérance de vie», écrivent les auteurs de l’étude.

Autre apport de ce travail de recherche : les singes participants ont regardé plus longtemps les primates avec lesquels ils avaient eu des relations plus positives que des relations antagonistes. Plus que les ennemis, les singes se souviennent donc davantage de leurs amis.

Une mémoire à long terme déjà étudiée chez les dauphins

«Cette étude nous montre non pas à quel point nous sommes différents des autres singes, mais à quel point ils nous ressemblent», s’est félicitée la chercheuse à l’origine de l’étude, dans des propos rapportés par le site internet de l’université de Berkeley. Laura Lewis précise toutefois auprès du New York Times que ces analyses ne permettent pas d’analyser en totalité «la forme que prennent ces souvenirs».

La mémoire visuelle à long terme au-delà de quelques années avait jusqu’à présent uniquement été documentée chez les dauphins. Selon une étude menée en 2013 par Jason Bruck, scientifique spécialisé dans le comportement des animaux, les dauphins ont en effet la capacité de reconnaître les cris d’autres membres de leurs espèces qu’ils n’ont pas entendus depuis plus de vingt ans. «Nous sommes semblables aux autres espèces qui vivent sur la planète», insiste Laura Lewis dans Berkeley News, rappelant donc «à quel point il est important de les protéger».