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A la barre

Œufs de flamants roses détruits en Camargue : la production du film «Donne-moi des ailes» de Nicolas Vanier condamnée

La biodiversitédossier
Le tribunal correctionnel de Nîmes a infligé, ce vendredi 11 avril, une amende de 52 000 euros à la société Radar Films pour avoir causé la destruction de 520 œufs de l’oiseau protégé et classé comme «vulnérable», lors du tournage en 2018.
Des flamants roses dans le parc ornithologique camarguais du Pont de Gau, en septembre 2020. (Maxime Gruss/Hans Lucas. AFP)
publié le 11 avril 2025 à 12h17

La production du film Donne-moi des ailes de Nicolas Vanier est jugée responsable d’avoir causé la perte de centaines d’œufs de la vedette des oiseaux camarguais. Ce vendredi 11 avril, le tribunal correctionnel de Nîmes (Gard) a condamné la société productrice du film sorti en 2019 à payer une amende de 50 000 euros pour avoir causé la destruction «non autorisée» de 520 œufs de flamants roses lors du tournage en Camargue, à laquelle s’ajoutent 2 000 euros pour la «perturbation volontaire» et l’«atteinte à la conservation» de ces animaux protégés.

L’entreprise devra également publier à ses frais, dans la revue Cahiers du cinéma et le journal local du Midi libre, le compte rendu judiciaire la reconnaissant coupable du délit de destruction d’œufs d’une espèce protégée. Radar Films se voit aussi contraint de verser, au titre du préjudice moral, 10 000 euros de dommages et intérêts aux associations France nature environnement (FNE), FNE Méditerranée Occitanie, l’Association pour la protection des animaux sauvages, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et Robin des bois, ainsi qu’à la Tour du Valat, un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, qui s’étaient portés partie civile. S’ajoutent 3 000 euros de préjudice écologique à Robin des bois.

«On se félicite de la condamnation, qui nous paraissait plus que nécessaire, se réjouit Olivier Gourbinot, juriste de FNE, même si, ajoute-t-il, compte tenu de la gravité des faits et du comportement particulièrement négligent de la société de production ainsi que de son attitude qui a renvoyé toute la responsabilité sur son prestataire de service, on estime que la condamnation aurait pu être plus sévère». L’association regrette également que la demande de réparation du préjudice écologique portée par la Tour du Valat, qui aurait aidé à «réparer les impacts négatifs pour la population française de flamants roses» n’ait pas été retenue par le juge.

11,5 % de la reproduction annuelle perdus

L’affaire remonte à près de sept ans. Les 6 et 7 juin 2018, deux ULM de la production du film ont survolé à basse altitude une colonie de plusieurs milliers de flamants roses en pleine période de nidification. De quoi provoquer une peur bleue à ces oiseaux particulièrement craintifs. Pris d’un vent de panique, les échassiers, tous regroupés sur un petit îlot des marais salants, se sont brutalement envolés, écrasant ou abandonnant dans la confusion leurs précieux œufs. Environ 520 d’entre eux ont été détruits, selon les chercheurs de la Tour du Valat.

En deux jours, ce sont ainsi près de 11,5 % de la reproduction annuelle, en France, de cette espèce protégée qui ont été réduits à néant. Une perte non négligeable, à l’heure où cet oiseau emblématique de Camargue est toujours classé dans la catégorie «vulnérable» sur la liste rouge des espèces menacées en France tenue par l’Union internationale pour la conservation de la nature et le Muséum national d’histoire naturelle, et qu’il fait face à de multiples pressions liées aux activités humaines et, à moyen terme, à la montée des eaux.

Un comble, alors que le film de Nicolas Vanier met en lumière l’histoire d’un père (interprété par Jean-Paul Rouve) et de son fils adolescent se rapprochant autour d’un «projet fou» : sauver une espèce d’oie en voie de disparition grâce à un ULM leur montrant un nouvel itinéraire de migration qui leur fera éviter la route qui a causé leur disparition. Si la Compagnie des salins du Midi avait donné son feu vert pour faire décoller et amerrir des ULM en Camargue gardoise, au cœur d’une zone Natura 2000, afin de réaliser des prises de vues, l’autorisation donnée à Radar Films excluait la zone de nidification des flamants roses, cartes fournies à l’équipe du film à l’appui.

Après cinq ans d’enquête, le réalisateur Nicolas Vanier, le pilote de l’ULM et le directeur de la photographie à bord de l’engin le 7 juin ont bénéficié d’un non-lieu. L’instruction a en effet établi que les «infractions environnementales ne sont imputables qu’à la société Radar Films», peut-on lire dans l’ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel de Nîmes datant de mai 2024, que Libération a pu consulter.

«Dérangements longs et répétés des oiseaux»

Le choix du calendrier de tournage laissait dans tous les cas à désirer, pointe le juriste de FNE, Olivier Gourbinot. S’il y a des flamants roses toute l’année en Camargue, la concentration de ces flamboyants palmipèdes atteint un pic de la mi-avril au mois de septembre, période très sensible durant laquelle ils nichent pour pondre leurs œufs et nourrir leurs poussins. Or, l’enquête préliminaire menée par les services de l’Etat a permis de constater sur les rushs du film des «dérangements longs et répétés des oiseaux» les 7 et 8 juin, écrit l’instruction.

Lors de l’audience du 7 mars 2025, le procureur a ainsi souligné le «défaut d’organisation» de Radar Films et sa «méconnaissance» des enjeux environnementaux, alors que la société avait été largement avertie sur le sujet par les autorités (DREAL, DDTM), le Conservatoire du littoral et des associations de protection de la nature. Jugeant que les pilotes n’avaient pas été correctement informés sur la préservation du milieu, le magistrat a ainsi requis une amende de «80 000 à 100 000 euros». De son côté, Matthieu Warter, dirigeant de Radar Films, s’est défendu en arguant que cette histoire était «à l’antipode de l’ADN de ce pour quoi [il] fai[t] des films depuis quinze ans», ses productions mettant souvent en scène un lien fort entre des enfants et des animaux. Comme depuis le début de l’enquête, le producteur a rejeté la responsabilité sur l’un de ses prestataires, un des deux pilotes d’ULM, le décrivant comme «un jeune homme très fier de son très bel ULM et qui, malheureusement, a fait du zèle».

«Ce qui s’est passé est inacceptable», peste Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. Convaincu de la bonne foi de Nicolas Vanier, qui lui a assuré ne pas être à l’origine de «ce drame», celui-ci n’a pas souhaité rompre le partenariat entre son association et le film qu’il juge «admirable» et capable, si ce n’est de susciter des vocations, de générer du «respect» à l’égard des oiseaux migrateurs. Dans tous les cas, «un tournage en plein printemps avec par exemple des coups de feu, des feux d’artifice ou autres, va affecter les espèces qui nidifient et les milieux naturels», expose Allain Bougrain-Dubourg, en plaidant pour que les équipes de futures productions – animalières ou non – soient impérativement sensibilisées aux enjeux de protection de la nature.