Une bande de flamants de Cuba répète un ballet et cancane de bon matin à la ménagerie du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Un peu plus loin, un enclos verdoyant est fermé au public. Les tamarins lion dorés, petits primates ornés d’un radiant pelage orangé, observent le groupe d’Homo sapiens en liberté réunis autour de l’enclos d’en face. Des caméras sont postées devant la barrière, dans l’espoir de saisir un cliché des nouvelles vedettes du MNHN. Mais rien ne se passe. Les deux bestioles se font désirer.
Connus par le grand public grâce à la série de dessins animés Looney Tunes, les diables de Tasmanie ne sont pas vraiment à l’image de Taz. Grands d’une soixantaine de centimètres, ces marsupiaux carnivores à fourrure épaisse et aux dents affilées sont endémiques de la Tasmanie, Etat insulaire australien isolé au large des côtes sud du pays. Deux petits diables, Mordo et Rori, ont débarqué à Paris le 5 juillet et séjournent à la ménagerie du Jardin des plantes. Directrice des lieux et vétérinaire, Aude Bourgeois, a fait leur présentation officielle devant la presse lundi 10 juillet.
Préserver leur instinct sauvage
Ces marsupiaux sont très gourmands : «Ils sont strictement carnivores. Il leur arrive de chasser des petites proies comme des grenouilles ou des insectes mais ils sont principalement charognards», explique-t-elle. Mais attention, on ne parle pas de n’importe quel charognard. Les diables de Tasmanie possèdent un fin palais, et chaque individu développe ses propres goûts, selon une étude publiée dans la revue scientifique Ecology and Evolution. S’ils mangent environ un tiers de leur poids en viande chaque jour, ils peuvent alterner avec de petites périodes de jeûne. «A la ménagerie on varie les morceaux de viande chaque jour et le nourrissage se fait à des moments différents de la journée pour ne pas installer une habitude», ajoute la directrice du zoo.
Cheveux coiffés en queue-de-cheval, pantalon beige et chaussures de sécurité, Pauline Kayser, soigneuse d’animaux à la ménagerie, pénètre dans l’enclos avec un lapin blanc décapité qu’elle tient d’une patte. A l’aide d’un cordon, la dépouille est attachée à un petit arbre feuillu, non loin des spectateurs. «Nous gardons la fourrure ou le plumage des proies pour préserver leur instinct sauvage», étaye Aude Bourgeois pendant que la soigneuse finit de mettre la table pour Mordo et Rori.
Attiré par l’odeur de lapin frais, Rori sort de sa niche, mais hésite longuement avant de se présenter sur le devant de la scène. Il se jette finalement sur la carcasse qu’il arrache d’un coup de gueule. Il fixe les humains, ces êtres bizarres qui squattent devant chez lui depuis bientôt une heure, et emporte son déjeuner pour le savourer à l’abri des regards.
Long cahier de charges émis par les autorités australiennes
Plusieurs années de préparation ont précédé l’accueil de cette paire de diables. «En 2016, je suis allée me former au parc zoologique de Copenhague qui héberge cette espèce depuis des années. Le gouvernement australien leur a offert les premiers individus en guise de cadeau diplomatique et depuis, ils sont les spécialistes des diables de Tasmanie en Europe», raconte Aude Bourgeois. C’est notamment le parc de Copenhague qui confie les animaux aux huit parcs qui abritent l’espèce. L’enclos de Mordo et Rori a été construit en suivant un long cahier de charges émis par les autorités australiennes. Une paysagiste a aménagé leur jardin avec des espèces endémiques d’Australie pour qu’ils se sentent comme à la maison. Un eucalyptus et des arbustes du genre callistémon ont été spécialement plantés pour eux. Plusieurs types de substrats se succèdent tout au long de l’enclos pour créer des reliefs, et des troncs d’arbres disposés de manière horizontale complètent le parcours.
Si le MNHN est heureux de pouvoir accueillir les diables de Tasmanie, la raison de leur séjour est moins réjouissante. «Sarcophilus harrisii, de son nom scientifique, est une espèce classée dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Aujourd’hui, on compte environ 20 000 individus», détaille Aude Bourgeois. La principale raison de leur disparition est une maladie contagieuse, qui déclenche la croissance de tumeurs sur la face des diables. En dix ans, on estime que plus de 80 % de la population adulte a été atteinte. «Pour l’heure, il n’existe ni vaccin ni traitement contre la tumeur faciale transmissible mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir et les chercheurs travaillent dur pour trouver un vaccin», poursuit la directrice du parc.
Créer des populations de réserve
Cette maladie qui ravage les populations sauvages de l’animal se transmet principalement par morsures. Les diables de Tasmanie sont une espèce qui communique beaucoup, «ça parle, ça grogne et ils se battent pour les aliments et les femelles, précise Aude Bourgeois. C’est plus de la démonstration que de la vraie agressivité, et quand il y a des morsures ils cicatrisent très vite.» Mais ces petites blessures suffisent pour se transmettre la maladie mortelle.
La solution trouvée par les autorités australiennes pour lutter contre leur disparition est de capturer des individus sains pour créer des populations de réserve dans des parcs zoologiques en Europe et aux Etats-Unis. Un coordinateur du programme de conservation a été désigné par les autorités. Il est un généalogiste professionnel, il connaît la lignée de chaque individu ayant quitté le territoire australien. Sa mission consiste, entre autres, à sélectionner les couples qui peuvent s’accoupler afin d’assurer la diversité génétique. En d’autres termes, son rôle est de veiller à ce qu’il n’y ait pas de consanguinité.
Les gens commencent à se disperser et Rori et Mordo se coursent à tour de rôle. Les perruches souris assurent l’ambiance sonore. Après le spectacle, les diables filent se baigner dans leur lac privé pour se rafraîchir. That’s all folks !