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Justice

Paul Watson : la détention du défenseur des baleines encore prolongée de 28 jours au Danemark

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La justice groenlandaise a décidé, ce mercredi 4 septembre, de maintenir en détention le célèbre protecteur des baleines jusqu’au 2 octobre, en attendant que le gouvernement danois se prononce sur la possibilité d’une extradition vers le Japon. Un rassemblement de soutien a eu lieu à Paris.
Paul Watson le 6 novembre 2013 à Seattle. (Karen Ducey/AP)
publié le 4 septembre 2024 à 14h32

Vingt-huit jours de plus derrière les barreaux, à Nuuk. La Haute Cour du Groenland a confirmé, ce mercredi 4 septembre, le maintien en détention provisoire jusqu’au 2 octobre de Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd, dont le Japon demande l’extradition pour des incidents survenus avec un navire baleinier dans les eaux antarctiques au début 2010. L’information a été communiquée par la branche française de l’ONG sur le réseau social X et confirmée par l’un de ses avocats. Ces derniers ont fait appel de cette décision devant la Haute Cour du Groenland.

Paul Watson, 73 ans, a été arrêté le 21 juillet sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités japonaises. La police danoise l’a menotté sur le pont de son vaisseau amiral, le M/Y John Paul DeJoria. Le «capitaine» et son équipe de 25 bénévoles étaient venus faire le plein de carburant à Nuuk afin de prendre en chasse le Kangei Maru, le nouveau navire-harpon usine de la flotte nippone, qui croise actuellement dans le Pacifique Nord. L’arrestation ne serait pas due à une «simple notice rouge de routine», accusent ses avocats, mais plutôt à la pression exercée par les autorités japonaises sur le Danemark. «Il faut se rappeler qu’une délégation de plusieurs officiers danois aurait été dépêchée pour procéder à l’arrestation de Paul Watson, et ce en pleines vacances de juillet», observe Me François Zimeray, l’un des avocats de l’activiste.

Le maintien en détention de l’Américano-Canadien, grand défenseur des baleines, n’a pas surpris sa défense. Comme lors de l’audience du 15 août, la procureure s’est opposée, ce mercredi, à la projection des vidéos prises lors des faits qui lui sont reprochés par le Japon, explique à Libération l’un de ses avocats, Jean Tamalet. Le juge a accepté de visionner les vidéos fournies par les Japonais mais pas celles fournies par la défense. «Or, si le juge regarde enfin ces preuves, l’accusation tombe, et Paul [Watson] est libre dans la foulée», appuie Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, au chevet de Paul Watson au Groenland depuis son arrestation.

Paul Watson écume les océans pour traquer, semoncer et s’il le faut éperonner voire couler (en l’absence de personnel) des navires avides de chairs et de peaux d’animaux. Selon la justice nippone, le militant écologiste serait notamment responsable de dommages matériels en 2010 pour le bateau Shonan Maru 2 – navire harpon de la flotte japonaise destiné à la chasse aux baleines – et de dommages corporels pour un membre de l’équipe lors d’une campagne conduite par Sea Shepherd les 10 et 15 février 2010. D’après le Monde citant Interpol, la justice japonaise reproche à l’activiste une «entrée par effraction sur un navire, atteinte aux biens, entrave à l’activité imposée par la force et coups et blessures en rapport avec deux attaques perpétrées contre des baleiniers japonais». Concrètement, Paul Watson est accusé d’avoir blessé au visage un marin japonais en jetant une boule puante contenant de l’acide butyrique (une substance irritante, toxique en cas d’ingestion) pour entraver le travail des baleiniers.

Selon la défense de Paul Watson, les vidéos fournies prouvent que le membre d’équipage qui aurait été blessé n’était même pas présent lorsque la boule puante a été lancée sur le pont. «La justice du Groenland refuse de respecter les droits de la défense, en refusant de regarder les éléments à décharge, réagit Me Tamalet. Le Danemark a une responsabilité directe dans cette mascarade de justice.» En revanche, la totalité des images a été prise en considération par les enquêteurs lors de l’audition de Paul Watson du mardi 3 septembre, qui a porté sur le fond de l’affaire, précise-t-il. Pendant près de trois heures, le militant a répondu à de nombreuses questions sur le déroulé des événements qui lui sont reprochés dans le cadre d’investigations diligentées par le ministère de la Justice danois pour asseoir sa position concernant l’extradition.

Camille Etienne, Cyril Dion, Greenpeace en soutien

Ce mercredi matin, place de la République à Paris, un rassemblement était organisé par les ONG Sea Sherpherd France et Canopée, et le média Vakita. Après avoir diffusé sur écran géant les vidéos censées innocenter Paul Watson, Sea Sherphed a projeté en direct l’arrivée au tribunal de Nuuk de l’activiste à la barbe et à la chevelure d’un blanc éclatant. Ce dernier est apparu en chemise blanche et veste noire ; un bref sourire venant adoucir un visage aux traits tirés à sa sortie du véhicule de police groenlandais.

L’activiste Camille Etienne, le réalisateur Cyril Dion, le défenseur des arbres Thomas Brail, Jean-François Julliard de Greenpeace, Allain Bougrain-Dubourg de la LPO, l’écrivain Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France pour les pôles et les enjeux maritimes, Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Eric Coquerel… En attendant la décision de la Haute Cour du Groenland sur la requête du Japon, avocats, artistes, militants, responsables d’associations et politiques, se sont succédé sur scène pour dénoncer «un harponnage judiciaire» et encenser son courage et sa dévotion à la défense des cétacés et du vivant. «Paul Watson est l’un des plus grands lanceurs d’alerte de la planète, a lancé l’avocat William Bourdon, un proche de Paul Watson. Il est criminalisé, traité d’écoterrorisme… lui ! Alors que l’impunité des industriels reste intacte.»

Bête noire du régime japonais

A ce jour, nul ne sait quand Copenhague tranchera sur la demande d’extradition formulée par Tokyo. «Le ministre danois de la Justice a demandé un rapport sur l’affaire aux services d’enquête danois comme groenlandais», précise Me François Zimeray. Ce fin connaisseur du Danemark, pays dans lequel il fut ambassadeur de France avant de revêtir à Paris la robe d’avocat, rappelle que la décision incombe dans le royaume au pouvoir politique, même si elle peut faire l’objet d’un appel en justice. «Tout se passe comme si les autorités danoises désiraient, par ces investigations, fonder leur décision sur des considérations juridiques autant que politiques», analyse-t-il.

Pour le Japon, l’arrestation de l’Américano-Canadien à Nuuk est une véritable aubaine et pourrait bel et bien mettre un terme à quinze ans de revers et d’humiliations. Devenue au fil des années la bête noire du régime japonais, l’activiste a exposé à maintes reprises les chasses illégales de baleines opérées par le pays, à coups d’action radicale et de coups d’éclat médiatiques. «Ce Watson a commis de graves délits» qui relèvent même de «la tentative de meurtre» s’est insurgé auprès de Libération dans la foulée de son arrestation Hideki Tokoro, le patron de Kyodo Senpaku, société fer de lance de la pêche de cétacés dont la viande est destinée à la consommation japonaise. Comme les autorités de son pays, il attend avec impatience que le militant écologiste soit extradé au Japon, où il encourt quinze ans de prison.