Aux côtés des épuisettes, des hameçons et d’autres bobines de fil, un «article» en vente dans les rayons pêche de plusieurs magasins Decathlon sort du lot et fait polémique. Entreposés dans des aquariums, des poissons vivants de petite taille sont en effet commercialisés par l’enseigne de sport, déjà récemment pointée du doigt dans un autre dossier. Ils sont destinés à un usage bien particulier : la pêche au vif, une technique de pêche à la ligne qui consiste à utiliser ces vertébrés en guise d’appâts pour attirer un prédateur qui mordra à l’hameçon. Cette pratique «ancestrale», comme mentionné par Decathlon, fait néanmoins l’objet de multiples pétitions lancées ces dernières semaines par des associations de protection animale.
En décembre, huit pétitions lancées à l’encontre de l’enseigne
Une pétition lancée le 3 décembre contre le Decathlon de Beauvais, dans l’Oise, a par exemple déjà recueilli plus de 15 000 signatures. La cliente à l’origine de l’initiative se dit «révoltée de découvrir que [le magasin] alimente une pratique aussi cruelle». Elle déplore le fait que l’aquarium du magasin soit «minuscule et ne corresponde pas aux besoins et au bien-être des poissons». En Loire-Atlantique, le Decathlon de Saint-Nicolas-de-Redon est lui aussi critiqué pour la vente de poissons vivants. Une pétition qui a déjà récolté plus de 17 000 paraphes dénonce une «technique profondément cruelle», pour laquelle «les animaux sont transpercés vivants avec un hameçon».
Les enseignes de Brive-la-Gaillarde, d’Auxerre, d’Orléans, ou encore de Carcassonne, avaient aussi été épinglées par des pétitions, toutes soutenues par Paris Animaux Zoopolis (PAZ). Selon l’association, 8 nouvelles actions ont été lancées rien qu’au cours du mois de décembre 2023. «A ce jour, il y a 23 pétitions en cours, et d’autres vont encore arriver», précise Amandine Sanvisens, cofondatrice de l’association.
«Nous avons constaté que 3 magasins – Carcassonne (Aude), Foix (Ariège) et Bron (Rhône) – ont arrêté de commercialiser des poissons destinés au vif dans leurs magasins en 2023, après que des pétitions ont été lancées. Un mouvement est donc en marche», se félicite-t-elle. Depuis 2019 et le lancement d’une campagne nationale, PAZ appelle à l’inscription dans la loi de l’interdiction de l’utilisation de vertébré vivant comme appât.
Decathlon défend une pratique légale
«La pêche au vif constitue, à tous les maillons de la chaîne, une véritable souffrance animale : il y a d’abord l’élevage des poissons, en surpopulation ; le stockage ; et la pêche en elle-même.» La coprésidente de PAZ s’indigne que cette «agonie» puisse «durer des heures». Un tel acte serait pour elle «inenvisageable sur un mammifère». Le rôle de l’association est alors de «rappeler que les poissons sont comme les autres animaux, et qu’ils souffrent aussi. Il faut arrêter la pêche au vif qui n’existe que pour s’amuser. La cruauté animale n’est pas un sport», abonde Amandine Sanvisens.
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Face à ces nombreuses critiques, Decathlon rétorque de son côté que «la pêche au vif est une pratique de pêche ancestrale» et légale, tout en précisant que son «alternative est la pêche au leurre». L’entreprise affirme à Libération être «engagée dans la promotion et la distribution de leurres de plus en plus qualitatifs qui remplaceront progressivement les vifs», mais précise que cette «transition ne peut pas être immédiate». Et de poursuivre : «Il est pertinent de laisser Decathlon vendre encore des vifs et prendre le temps de convertir à la pêche au leurre. Si Decathlon cesse brutalement de vendre des vifs, les habitués de cette pratique s’en procureront par d’autres circuits moins engagés dans l’évolution vers la pêche au leurre.»
Selon l’association de protection animale PAZ, il s’agit d’un «tournant». «Il y a encore quelques mois, Decathlon ne faisait même pas de commentaires. Mais depuis deux semaines et la multiplication des pétitions, l’entreprise a changé de discours et affirme vouloir modifier ses pratiques», explique Amandine Sanvisens à Libération. Elle tempère toutefois : «Rien dans les actions menées par Decathlon n’atteste de cette volonté de se détourner de la pêche au vif. Il nous faut des preuves visibles.»
Dans l’attente de cette petite révolution, l’association poursuit son combat pour interdire cette pratique, en mobilisant à la fois députés et sénateurs. En novembre, une proposition de loi a ainsi été déposée par 70 députés de la Nupes pour interdire la pêche au vif, de la commercialisation des poissons en magasins jusqu’à leur souffrance au bout de l’hameçon.