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Chaud-froid

Réchauffement climatique : l’océan connaît aussi des vagues de froid parfois mortelles pour les requins et les tortues

La biodiversitédossier
Comment 260 animaux marins en Afrique du Sud ont été tués en 2021 ? Prenant pour point de départ l’analyse de cet épisode dû à une remontée d’eau froide, une étude scientifique pointe la hausse de tels phénomènes en raison du changement climatique.
Dans la province du Cap-Occidental, en Afrique du Sud, en 2021. (Neil Overy/Robert Harding.AFP)
publié le 15 avril 2024 à 17h01

L’océan se réchauffe sous l’effet des activités humaines, c’est indéniable. Mais cela n’empêche pas des coups de froid ponctuels et mortels pour certaines espèces d’animaux marins. Voilà ce que met en lumière un article publié ce lundi 15 avril 2024 dans la revue Nature Climate Change. «Les effets du réchauffement et des vagues de chaleur sur les espèces marines sont bien démontrés ; en revanche, les effets des épisodes de froid extrême sont mal connus», écrit en préambule le premier auteur de l’étude, Nicolas Lubitz, biologiste à l’université australienne James-Cook. Avec son équipe, le chercheur s’est intéressé aux effets des remontées de courants froids des profondeurs marines vers la surface. Un phénomène dénommé upwelling – que l’on peut observer en Méditerranée – et rendu plus fréquent par le changement climatique.

L’article revient sur un «événement meurtrier», soit la mort brutale de 260 animaux de 81 espèces différentes au large de l’Afrique du Sud le 2 mars 2021 pendant un upwelling (une remontée d’eau) intense, marqué par une chute de température de près de 10 °C en moins de quarante-huit heures et d’une durée de sept jours, contre un à trois habituellement. Selon Nicolas Lubitz, la mortalité par hypothermie de tortues marines ou d’espèces peu mobiles lors de tels épisodes était déjà documentée, mais l’analyse détaillée de celui-ci, qui s’est étendu, sur 230 kilomètres, montre «que même des organismes marins très mobiles tels que les requins taureaux et les raies manta […] peuvent succomber à un froid extrême et soudain».

Les requins n’aiment pas l’eau froide

Au-delà de ce cas précis, les scientifiques estiment qu’il convient de mieux surveiller ces phénomènes. En utilisant des données satellitaires, ils ont en effet mis au jour une tendance à «l’augmentation du nombre annuel et de l’intensité des événements froids pendant les étés austraux entre 1981 et 2022 dans trois cellules d’upwelling étudiées au large du courant des Aiguilles» à l’est de l’Afrique du Sud. Là, comme sur la côte est de l’Australie, ce phénomène pourrait être favorisé par les variations de pression ou de courants engendrées par le changement climatique et notamment une hausse «de la proportion des vents favorables à la remontée des eaux».

L’article australien ne s’arrête pas là. «Les auteurs ont ensuite étudié les mouvements et l’écologie thermique de l’une des plus grandes espèces échouées sur les côtes d’Afrique du Sud, le requin bouledogue, afin de comprendre sa réaction aux phénomènes de remontée d’eau», explique la zoologue de l’université de Stockholm, Valentina Di Santo, qui analyse dans le même numéro de Nature Climate Change les travaux de ses confrères. En utilisant des données issues de l’observation et du suivi de poissons dotés de badge, les chercheurs ont montré que les requins bouledogues se sentaient bien à une température comprise entre 20°C et 25°C mais fuyaient les eaux à moins de 19°C. En cas d’upwelling, ils nagent plus près de la surface à la recherche d’eaux moins fraîches.

Anchois et tortues

«Cette étude est l’une des rares à illustrer le lien entre les épisodes de froid extrême liés au climat et l’augmentation des taux de mortalité dans la vie marine», loue Valentina Di Santo. Et de faire un lien avec un autre travail, consacré aux tortues de Kemp cette fois. «Avec l’augmentation des températures moyennes des océans, les tortues de Kemp se déplacent vers les pôles, transformant les eaux du nord-ouest de l’Atlantique, en particulier la baie de Cape Cod, en zones cruciales pour la recherche de nourriture. Une augmentation récente des échouages de tortues dans la baie de Cape Cod a été liée au réchauffement accéléré du golfe du Maine, accompagné d’intenses remontées d’eau froide», ajoute-t-elle. Ces deux espèces risquent donc d’être prises en étau. D’un côté le réchauffement les pousse vers le sud ; de l’autre, les zones d’accueil sont plus souvent sujettes à des phénomènes de remontées d’eau froide potentiellement fatales. «Cela laisse supposer que de nombreuses espèces différentes seront affectées par les remontées d’eau froide dans les eaux qui se réchauffent dans le cadre du changement climatique», pointe la chercheuse.

Les conséquences économiques se font déjà sentir. Dans son article, Nicolas Lubitz souligne que «l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des remontées d’eau en Afrique du Sud a déjà été liée à des déplacements des frayères de l’anchois d’eau froide» ou à des baisses de rendement de pêcheries en Australie.