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Pourquoi leur face écrasée empêche les bouledogues de dormir

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Des chercheurs hongrois ont étudié les habitudes de sommeil de 92 chiens, dont des bouledogues anglais et français et carlins. Ils ont constaté que les races à face plate dormaient moins bien à cause de la forme de leur tête.
Un bouledogue au Westminster Kennel Club Dog Show à New York, en 2021. Une véritable bête de somme. (Timothy A. Clary/AFP)
publié le 15 décembre 2023 à 17h12

De grands yeux ronds, des rides généreuses et un nez écrasé : c’est ce qui fait le succès des bouledogues anglais, français, carlins ou Boston terriers ces dernières années. Aux Etats-Unis, le bouledogue français a même détrôné le labrador retriever en tant que race de chien la plus convoitée. Mais ces traits qui font leur charme font aussi leur malheur : les chiens à la face plate, ou brachycéphales, souffrent d’un grand nombre de problèmes de santé. Une étude récente menée en Hongrie révèle que ces races de chiens connaissent des difficultés à dormir en raison de la forme de leur tête.

«Les gens favorisent une morphologie spécifique de chiens à face plate parce qu’ils ont une ressemblance avec le babyface [une tête de bébé]», explique au Guardian Enikő Kubinyi, coauteur de l’étude et chercheur en comportement canin. Voilà presque deux siècles que l’on sélectionne ces canidés trapus pour en faire, au gré des croisements, de mignons petits chiens. Un retour de bâton terrible pour eux : ils souffrent d’une somnolence en journée accrue due à un manque de sommeil la nuit, d’après les chercheurs hongrois. Leur tête raccourcie est en la cause : la longueur et la largeur de leur crâne inférieures à la normale provoqueraient une apnée du sommeil.

Pour parvenir à un tel constat, les scientifiques ont étudié les habitudes de sommeil de 92 chiens accompagnés de leurs maîtres. Ils ont noté que les races à face plate connaissaient une phase plus longue de sommeil à mouvements oculaires rapides (Rem), considéré comme le stade du sommeil où le cerveau est actif tandis que le corps reste immobile. Selon les chercheurs, ce phénomène est similaire à la façon dont les nourrissons dorment. D’après eux, bouledogues et carlins conservent donc les habitudes de sommeil des chiots, avec un sommeil nocturne plus court.

Elevage interdit aux Pays-Bas et en Norvège

Selon Dan O’Neill, professeur associé au Royal Veterinary College de l’université de Londres, qui n’a pas participé à l’étude, «le manque de sommeil est de plus en plus reconnu comme une cause majeure de souffrance chez les chiens atteints de brachycéphalie extrême». La forme de leur tête conduit certains canidés à dormir avec une balle dans la gueule «pour essayer de garder leurs voies respiratoires ouvertes», explique de son côté Kari Ekenstedt, professeur adjoint spécialisé en génétique à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Purdue (Etats-Unis).

Ces caractéristiques physiques sont aussi dangereuses pour leur santé à long terme : les races à face plate vivent en moyenne trois à quatre ans de moins que les autres chiens. «Les gens normalisent ces problèmes de santé, pensant qu’il s’agit d’une caractéristique de la race, que c’est normal et que ce n’est pas douloureux pour le chien de ne pas pouvoir respirer», déplore le coauteur de l’étude, Enikő Kubinyi.

Ce pic de popularité canine a conduit quelques pays à prendre des mesures. En 2014, les Pays-Bas ont voté l’interdiction d’élever des bouledogues anglais, des bouledogues français et des carlins même s’il a fallu attendre 2019 pour que la décision soit réellement appliquée. La Norvège interdit également leur élevage.

En 2022, une étude publiée dans la revue scientifique britannique Canine Medicine and Genetics signée par six chercheurs du Royal Veterinary College, l’école vétérinaire de Londres, réclamait «une redéfinition immédiate de la race vers des critères plus modérés est fortement conseillée» du bouledogue anglais, devenu emblématique Outre-Manche, afin d’«éviter que le Royaume-Uni rejoigne la liste croissante des pays qui interdisent l’élevage des bouledogues».

Ils avaient épluché les comptes rendus de consultation de milliers de bouledogues anglais pour comparer leur santé à celle des chiens d’autres races, démontrant qu’ils cumulaient à un niveau préoccupant des prédispositions aux problèmes et maladies de peau, des yeux, de la mâchoire et du système respiratoire.