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Libération
Pétard mouillé

Sécurité de la chasse: le Sénat propose un rapport frileux et de maigres avancées

La chasse en débatdossier
La Chambre haute du Parlement a dévoilé les propositions de 19 sénateurs, réunis en commission suite au succès d’une pétition en ligne. Mais les mesures préconisées se révèlent bien tièdes face aux demandes des associations et aux nombreux accidents survenus ces vingt dernières années.
Parmi les 30 propositions avancées par les sénateurs, aucune ne vise à limiter l’usage des carabines, ni à instaurer des limites d’âge à la chasse. (Eric Guilloret/Biosphoto. AFP)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier
publié le 14 septembre 2022 à 15h43
(mis à jour le 14 septembre 2022 à 18h05)

L’instauration d’un jour sans chasse ? C’est non. L’obligation de renouveler chaque année son permis de chasse ? Encore non. Le respect de distances de sécurité autour des habitations, le contrôle accru des armes ? Toujours non. La mission d’information du Sénat sur la sécurité de la chasse n’a pas retenu les propositions les plus marquantes qui lui avaient été soumises. Elle prône toutefois certaines avancées : exiger des chasseurs un certificat médical annuel, intégrer à l’examen du permis de chasse une épreuve d’habilité au tir et de maîtrise d’armes semi-automatiques, interdire l’alcool et les stupéfiants à la chasse (l’alcool est à l’origine de 9 % des accidents) ou encore retirer leur permis aux auteurs d’homicide par tir direct. Certes, souligne ce rapport, le nombre global d’accidents affiche une baisse de 46 % en vingt ans. Mais «plus de deux tiers des accidents résultent de fautes graves enfreignant les règles élémentaires de sécurité». La saison 2021-2022 a été marquée par 90 accidents, dont 8 mortels. Deux personnes décédées n’étaient pas des chasseurs.

Rendu public ce mercredi, ce rapport fait suite à une pétition en ligne intitulée «Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça !» déposée il y a un an sur le site du Sénat par Un jour un chasseur, collectif créé suite au décès de Morgan Keane, 25 ans, tué accidentellement en décembre 2020 par un chasseur alors qu’il coupait du bois devant chez lui à Calvignac, dans le Lot. Cette pétition devait atteindre la barre des 100 000 signatures dans un délai de six mois pour être étudiée par la Chambre haute. Or elle avait recueilli plus de 122 000 soutiens en deux mois seulement, déclenchant la première mission de contrôle du Sénat issue d’une telle procédure. Créée par les commissions des affaires économiques et des lois, cette mission composée de 19 sénateurs avait commencé ses travaux en décembre 2021.

«#MeToo de la chasse»

Premières auditionnées, Léa Jaillard, 28 ans, et Mila Sanchez, 27 ans, cofondatrices d’Un jour un chasseur, avaient expliqué que leur collectif recevait une vingtaine de témoignages par jour, révélant une «mise en danger permanente des ruraux» face aux chasseurs. Ces témoignages feraient état d’un sentiment d’insécurité et de peur, d’injures, de menaces, d’intrusions dans des propriétés privées, de blessures ou de mort d’animaux domestiques suite à des tirs, de balles perdues qui finissent dans des trains, des voitures en circulation ou des maisons, de plaintes refusées ou classées sans suite… Leur collectif, qu’elles qualifient de «#MeToo de la chasse», offrirait une «libération de la parole des victimes» et des «14 millions de ruraux non-chasseurs». Mais l’insécurité n’est pas le seul problème : «Au moins 4 millions d’armes de chasse sont en circulation en France, rappelle Léa Jaillard, et de telles armes sont parfois utilisées pour commettre des féminicides.»

Si la mission sénatoriale met abondamment en avant «des progrès spectaculaires en matière de sécurité», elle oublie de mentionner les 428 personnes mortes dans un contexte de chasse entre 1999 et 2021. Parmi les 30 propositions avancées par les sénateurs, aucune ne vise à limiter l’usage des carabines, dont les balles peuvent dépasser les 3 kilomètres de portée. Rien non plus sur des limites d’âge à la chasse, bien que le rapport cite le cas d’auteurs de tirs mortels âgés de 77, 81 et 102 ans. A l’autre bout de la pyramide, un garçon de 16 ans est mort en 2020 en manipulant son arme de chasse. Et en février 2022, dans le Cantal, une randonneuse de 25 ans était victime d’une balle perdue, tirée par une chasseuse de 17 ans. Comme le souligne Un jour un chasseur, «à 15 ans, on ne peut pas voter mais on peut chasser en étant accompagné».

La frilosité de ce rapport n’a pas échappé à l’un des membres de la commission sénatoriale : «S’interroger sur la sécurité de la chasse, cela va forcément dans le bon sens, estime Daniel Salmon, sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine. Mais j’aurais aimé que l’on se penche sur l’ensemble des questions liées à la chasse et que les propositions aillent plus loin, notamment sur les jours sans chasse et les armes les plus dangereuses. Voilà notamment pourquoi notre groupe a voté contre ce rapport, contrairement aux autres formations politiques.»

«Un rapport indécent»

Selon un sondage Ipsos-One Voice de septembre 2021, près de la moitié des personnes résidant en zone rurale se disent opposées à la chasse, et 82 % des sondés se déclarent favorables à son interdiction deux jours par semaine et durant les vacances scolaires. Les mercredis et dimanches sans fusil figuraient en tête des demandes d’Un jour un chasseur. Mais Léa Jaillard n’est guère étonnée que de telles propositions aient été repoussées. «Notre objectif était surtout de porter le sujet de la sécurité à la chasse sur la scène politique. On peut choisir d’ignorer le problème, mais pas nier qu’il existe. De fait, ce rapport ne contient aucune mesure forte. Pis : il propose un délit d’entrave à la chasse !» L’une des trente propositions propose en effet d’introduire dans le code pénal un tel délit.

Une dizaine d’associations anti-chasse ou de défense animale dénoncent un «rapport indécent» et exigent un référendum concernant les principales revendications des non-chasseurs. La Fédération nationale de la chasse (FNC) se déclare elle aussi très remontée : elle dénonce un rapport «profondément choquant», qui n’est selon elle qu’un «mille-feuille de contraintes inadaptées et irréalistes», voire un «catalogue de mesures totalement à charge contre la pratique de la chasse populaire».

Lors de son audition par les sénateurs, Willy Schraen, président depuis 2016 de la FNC, s’était attaqué aux associations anti-chasse, à la représentativité de «groupuscules», à des «contenus haineux et totalement mensongers» mis en ligne. Il indiquait même que des chasseurs avaient apporté «une large contribution personnelle dans la collecte de ces histoires rurales». Autrement dit, Willy Schraen laissait entendre que de faux témoignages avaient été publiés sur le site d’Un jour un chasseur pour le décrédibiliser.

Le collectif ne changera pas son fusil d’épaule. Il publie le 11 octobre Chasser tue (aussi) des humains (éditions Leduc) et a convaincu la Cour des comptes de se pencher sur les soutiens publics accordés aux fédérations de chasse. Au-delà de son intérêt sur ces questions financières, ce nouveau rapport (attendu pour fin 2023-début 2024) pourrait permettre d’en savoir plus sur le nombre réel de chasseurs actifs en France.

Article mis à jour mercredi 14 septembre à 18 h 04 avec les déclarations de la Fédération nationale de la chasse