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Armes à feu

Tests d’alcoolémie, angles de tir… Des mesures timides mais bienvenues pour la sécurisation de la chasse

La chasse en débatdossier
La secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Bérangère Couillard, a annoncé ce mardi des mesures pour mieux sécuriser la pratique de la chasse. Une amélioration palpable bien qu’insuffisante.
Dans les Pyrénées le 6 octobre. (Lionel Bonaventure/AFP)
publié le 25 octobre 2022 à 20h10

«Clairement, pour nous, c’est du vent.» Pas de demi-mesure face à ces «mesurettes» du côté des détracteurs de la chasse. Léa est membre du collectif «Un jour, un chasseur» et se bat chaque jour pour un encadrement plus strict depuis la mort en 2020 de son ami Morgan Keane tué dans son jardin par un tir de chasseur. Avec trois amis, elle répertorie sur les réseaux sociaux les témoignages de peur, violences ou abus subis par les ruraux en période de chasse. Si les chiffres officiels des accidents sont en perpétuelle diminution selon l’Office français de la biodiversité (OFB), depuis l’ouverture de la chasse en septembre, deux personnes sont mortes et des dizaines ont été blessées.

Un constat que ne pouvait plus ignorer le gouvernement. Face à l’indignation, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Bérangère Couillard, s’est rendue ce mardi dans la Marne pour assister à un examen du permis de chasser et une opération de contrôle avec les agents de l’OFB. «De nouvelles règles de sécurisation seront annoncées […] pour améliorer la sécurité des chasseurs et des promeneurs», avait-elle annoncé sur Twitter. C’est chose faite.

«C’est une entourloupe»

Parmi les mesures proposées, on retrouve la création d’un délit d’alcoolémie, avec l’interdiction de chasser au-delà de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang – comme pour conduire une voiture –, l’interdiction du tir quand la proie se trouve dans un angle de 30 degrés sur la gauche et la droite du chasseur et l’instauration d’une demi-journée sans chasse. La secrétaire d’Etat indique que le dimanche «n’est pas un sujet tabou. Tout est sur la table». L’objectif est d’aboutir à des réglementations concrètes (via des arrêtés ou des décrets) «d’ici la fin de l’année, au maximum en début d’année», a-t-elle annoncé.

Léa et son collectif saluent la prise de conscience soudaine du gouvernement, «mais ça aurait dû être fait depuis des années !» L’écologue et naturaliste Pierre Rigaux, abonde : «Ce que je trouve positif surtout, c’est qu’enfin quelque chose se passe. Cela concrétise l’engagement des militants, associations et populations qui demandaient l’interdiction de chasser bourré depuis des décennies.» Jusqu’ici, rien n’interdit aux chasseurs de boire de l’alcool en parallèle de leurs battues. «Aucun problème», a réagi le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, pour qui les chasseurs «s’autorégulent».

Reste à savoir comment la loi va pouvoir s’appliquer concrètement sur le terrain. Et pour Jean-Louis Chuilon, membre de l’association Rassemblement pour une France sans chasse et garde-chasse, le compte n’y est pas : «C’est pire que du vent, c’est une entourloupe. Les annonces sont légitimes et seraient bonnes si elles pouvaient être appliquées. Mais elles sont inapplicables et ils le savent très bien !»

«Contrôler des chasseurs, c’est difficile»

En France, il n’y a pas de police de la chasse. Les contrôles sont effectués par des gardes-chasses et les officiers de police judiciaire de l’Office français de la biodiversité. Sauf que l’OFB a des effectifs limités. «C’est ça le cœur du problème. Contrôler des chasseurs, c’est difficile. J’en ai déjà fait l’expérience. J’étais garde-chasse sur une réserve naturelle et des chasseurs étaient présents, donc en infraction. Je suis allé les contrôler et je me suis retrouvé avec trois fusils pointés sur moi.» Une expérience partagée par de nombreux collègues, selon lui.

«Toute association de chasse doit faire respecter la loi sur son terrain. Chaque président doit recruter des agents garde-chasse pour faire la police. Sauf que 85 % des associations de chasse agréées n’ont pas de garde. Et les 15 % restants font souvent appel à un membre de l’association, donc un chasseur», détaille Jean-Louis Chuilon sur la base des données récoltées par sa fédération de garde-chasse.

Sans contrôles, rien ne garantit que les chasseurs changeront de comportement. Pour l’écologue naturaliste il faut remettre à plat la formation et l’obtention du permis de chasser. Selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, environ 1,1 million de personnes ont un permis validé. Et ont donc accès à une arme à feu létale.

«On a l’impression d’une prise de conscience»

«Il y a des millions d’armes en circulation dans nos campagnes. Chaque chasseur possède un fusil, voire deux ou trois. L’examen du permis de chasser devrait être plus difficile à obtenir, vu les enjeux», argue Pierre Rigaux. Sur son site la Fédération nationale des chasseurs indique bien que «1,1 million de chasseurs détiennent 2,1 millions d’armes». Toute personne dotée du permis peut acquérir une arme de catégorie C. Le collectif «Un jour un chasseur» soutient la proposition du Sénat d’obliger les chasseurs à présenter un certificat médical. Et veut pousser le contrôle plus loin. «Nous sommes aussi pour l’instauration d’un certificat psychologique, à renouveler régulièrement. Les chasseurs possèdent l’arme chez eux et peuvent s’en servir en dehors des périodes de chasse. Ce sont des choses qu’il faut contrôler», exhorte Léa.

L’annonce de ces mesures, bien que timides, représente déjà une petite victoire pour les militants. La médiatisation s’est faite plus forte ces derniers mois, mettant en lumière les lacunes qui restent à combler dans l’encadrement de la chasse. «On a l’impression d’une prise de conscience : les populations s’indignent et les politiques commencent à agir», se réjouit l’association de Léa.

Pierre Rigaux, lui, ne perd pas de vue son objectif final : l’abolition totale de la chasse de loisir. «Je pense que c’est devenu inacceptable qu’une activité pareille soit toujours autorisée. On parle quand même de gens qui s’amusent à flinguer des animaux avec une arme à feu létale dans nos forêts et nos campagnes.»