C’est une étape cruciale sur le chemin de la neutralité carbone. Celle qui permettrait à l’Union européenne de suivre une trajectoire précise en matière de climat et d’énergie durant la prochaine décennie, de ne pas relâcher des efforts, une fois passée la cible intermédiaire de 2030 (réduire de 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à 1990), et de maintenir une forte pression sur les Etats membres afin qu’ils atteignent, au plus tard, le zéro émission net en 2050.
Ce mardi 6 février, la Commission européenne a présenté sa position sur l’objectif clé pour 2040. Le cap visé pour cette échéance ? Diminuer d’au moins 90 % les émissions de gaz à effet de serre. Ce qui revient pour les Vingt-Sept à poursuivre, au minimum, le même rythme de réduction que celui décidé pour 2020-2030. «La fixation d’un objectif climatique pour 2040 aidera l’industrie européenne, les investisseurs, les citoyens et les gouvernements à prendre, au cours de cette décennie, des décisions qui permettront à l’UE de rester sur la bonne voie […]. Elle enverra des signaux importants sur la manière d’investir et de planifier efficacement», indique l’exécutif européen, qui était tenu de divulguer ses projections post-2030 dans un délais de six mois après la COP28 de décembre.
A horizon 2040, une baisse nette de 90 % signifierait, concrètement, que l’Europe n’émettrait plus qu’environ 500 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. Par comparaison, en 2022, elle avait rejeté quasi 3 300 millions de tonnes. Pour parvenir à une telle diminution, la Commission projette une «décarbonation quasi totale de l’électricité» à partir de 2035. Elle prévoit aussi une baisse de 80 % des émissions inhérentes aux transports (par rapport à 2021), et autant pour celles liées à la consommation de combustibles fossiles «à des fins énergétiques», notamment par une «sortie du charbon».
S’agissant du secteur agricole, l’institution affirme que ce dernier «joue un rôle essentiel dans la transition» (l’agriculture représente 11% des émissions en Europe), mais se garde de dévoiler une quelconque mesure chiffrée. Rien de surprenant au regard de la colère des agriculteurs européens, tambours battants contre Bruxelles depuis des semaines (ce mardi 6 février dans la matinée, Ursula von der Leyen a définitivement enterré le projet législatif, déjà très mal embarqué, qui visait à réduire de moitié l’usage des pesticides dans l’Union européenne). La Commission se contente donc de définir de grands principes sur l’agriculture, préférant mettre l’accent sur le «déploiement plus rapide» du captage et le stockage d’importants volumes de carbone à horizon 2040. «La Commission a fait un pas en avant avec sa proposition, mais il ne faut surtout pas miser sur ces nouvelles technologiques, critique Caroline François-Marsal, spécialiste des enjeux européens au sein de l’association Réseau Action Climat. En parallèle de la réduction des émissions, qui est la priorité absolue, l’Union européenne doit surtout s’investir dans la préservation et la restauration de nos puits de carbone naturel, nos forêts et nos sols. Eux sont actuellement trop mal en point pour séquestrer le CO2 que nous espérons. Sans cela, on n’y arrivera pas».
Débats cristallisants
Le chiffre de 90 % était attendu. Devant les eurodéputés en octobre, le commissaire chargé du climat et membre néerlandais du Parti populaire européen (PPE), Wopke Hoekstra, l’avait défendu pour se montrer en concordance avec le Conseil scientifique consultatif européen, qui préconisait une baisse des émissions de 90 % à 95 %. L’inconnue, en revanche, c’est le sort réservé à cet objectif 2040. Car ce mardi, la Commission formule une «recommandation», qui ne sera débattue politiquement qu’après les élections européennes de juin. Il appartiendra donc à la prochaine Commission de soumettre aux Etats et au Parlement une proposition législative formelle sur laquelle devront s’aligner les Vingt-Sept – l’objectif climatique 2030 et celui de la neutralité carbone 2050 sont eux inscrits dans la loi européenne sur le climat, pierre angulaire du Pacte vert, dit Green Deal. Un scénario loin d’être écrit à l’avance au vu des débats actuels sur les normes environnementales et de la montée en puissance de l’extrême droite, apôtre sans réserve du greenbashing.
«C’est bien que les choses soient prévisibles, clarifiées. Cette recommandation va pouvoir irriguer les programmes de chacun et obliger tout le monde à prendre ses responsabilités avant le mois de juin, commente Pascal Canfin (Renew), président de la commission environnement du Parlement. Que vont dire, par exemple, les candidats du PPE [le parti conservateur est aujourd’hui le plus grand groupe du Parlement, ndlr] alors qu’Ursula Von der Leyen, issue de leur rang, prône officiellement une baisse de 90 % en 2040 ? De toute manière, si les conditions politiques ne sont pas réunies post-scrutin pour concrétiser cet engagement, si aucune majorité ne se dessine pour soutenir les 90 %, eh bien ça ne se fera pas. La poursuite de la transition verte est l’un des grands enjeux de l’élection.»
Au fond, la feuille de route 2040 est une version XXL et prolongée des actions engagées pour 2030. Une année cible qui, du reste, n’est pas encore sûre d’atteindre les 55% de baisse d’émissions nettes. Dans un rapport publié mi-décembre, l’Agence européenne de l’environnement avait jugé «probable mais incertain» l’achèvement d’une telle cible. «Une accélération considérable des réductions d’émissions sera nécessaire», avait-elle écrit, spécifiant que les mesures adoptées par les Vingt-Sept jusqu’au premier trimestre 2023 dessinaient une trajectoire de réduction de 48 %. «Les Etats membres sont en train de mettre à jour leurs plans nationaux en matière d’énergie et de climat [qui doivent être transmis à Bruxelles au plus tard en juin 2024, ndlr], ce qui devrait permettre d’identifier des mesures supplémentaires et contribuer à combler l’écart qui subsiste entre les projections actuelles et l’objectif», avait fait savoir l’Agence. En France, cette stratégie nationale appelée «SNBC3» devrait être rendue publique dans les deux prochains mois.