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Réchauffement

Retrait de l’atmosphère, «biochar», aspirateurs... les solutions d’éliminations du CO2 de l’air sont-elles efficaces ?

Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, en plus de réduire drastiquement les émissions, il faudra aussi retirer de l’atmosphère quatre fois plus de CO2 qu’aujourd’hui d’ici à 2050, grâce aux forêts, aux sols et à l’océan mais aussi à des technologies de pointe encore balbutiantes, selon un rapport publié mardi.
A Reykjavik en Islande, le 24 mai 2024, l'usine d'élimination du carbone Mammoth, considérée comme la plus grande usine de capture directe de l'air au monde. La start-up suisse Climeworks et son partenaire islandais Carbfix ont collaboré au projet Mammoth. (John Moore/Getty Images.AFP)
publié le 5 juin 2024 à 16h15

Si le monde veut respecter l’accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, il faudra retirer de l’atmosphère 7 à 9 milliards de tonnes de CO2 par an d’ici à 2050, estime un rapport pluridisciplinaire publié ce mardi 4 juin 2024 et coordonné par l’université d’Oxford (Royaume-Uni). Alors que les activités humaines ont émis près de 41 milliards de tonnes de CO2 en 2023, la cinquantaine d’auteurs internationaux de ce document souligne d’emblée que la priorité des priorités est de réduire rapidement et drastiquement les émissions mondiales, mais estime qu’en complément, l’élimination directe du carbone (en anglais Carbon Dioxide Removal, CDR) déjà accumulé dans l’atmosphère a aussi «un rôle crucial à jouer».

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (Giec) définit cette dernière comme un ensemble «d’activités humaines visant à retirer du CO2 dans l’atmosphère et à le stocker durablement dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits». Le concept se distingue donc des techniques de capture, d’utilisation et de stockage du CO2 (CCUS) dans lesquelles le captage se fait au point d’émission (sortie de cheminée d’usine ou de centrale à charbon), avant qu’il n’atteigne l’atmosphère.

Méthodes conventionnelles

Grâce au CDR, le CO2 éliminé de l’atmosphère n’y retournera pas avant des décennies, des siècles voire des millénaires, de sorte que l’on parle d’«émissions négatives». L’an dernier, la première édition de ce rapport avait conclu que «seulement 2 milliards de tonnes de CO2 par an sont retirées de l’atmosphère par le CDR, surtout via des méthodes conventionnelles comme la plantation d’arbres», la reforestation, l’agroforesterie et la gestion améliorée des forêts. Les arbres captent en effet le CO2 par photosynthèse et le stockent dans leurs racines, leurs feuilles ou leur tronc. Entre 2013 et 2022, les pays ou groupe d’Etats ayant eu le plus recours au reboisement dans ce but ont été, dans l’ordre, la Chine, l’Union européenne à ving-sept, les Etats-Unis, le Brésil et la Russie, selon le rapport. Parmi les autres méthodes dites «conventionnelles» d’élimination de ce gaz à effet de serre, l’étude cite la restauration des zones humides telles que les tourbières, de véritables éponges à CO2, la séquestration du carbone dans les prairies ou terres cultivées grâce à certaines pratiques agricoles (semis direct, engrais verts) et le stockage du CO2 dans des produits à longue durée de vie, notamment le bois de construction.

Un éventail aux noms exotiques

Outre ces solutions éprouvées, tout un éventail de nouvelles méthodes de CDR aux noms exotiques émergent aussi. Il y a d’abord le «biochar», «une forme de charbon très riche en carbone produit par pyrolyse de biomasse (cette dernière ayant retiré du CO2 lors de sa croissance», résume un document très didactique écrit en 2022 par des scientifiques français, lequel «peut être épandu sur les sols agricoles pour améliorer les rendements». La biomasse (plantes ou algues) peut aussi être enterrée, immergée ou brûlée, par exemple pour générer de l’énergie. Les émissions résultant de cette combustion peuvent être captées en sortie d’usine puis stockées dans des réservoirs géologiques : on parle alors de bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS).

Les océans sont également mis à contribution pour séquestrer du carbone, via des méthodes telles que la fertilisation, l’alcalinisation ou des projets de restaurations d’écosystèmes. Autre procédé : l’altération améliorée des roches (enhanced rock weathering en anglais), qui consiste, en gros, à broyer certaines roches capables d’extraire du CO2 de l’atmosphère en le fixant sous forme solide. Enfin, le CO2 peut être «filtré» de l’air ambiant à l’aide d’un absorbant, d’un solvant ou d’une membrane, ce que l’on appelle le captage direct de CO2 dans l’air (direct air capture, DAC). Les aspirateurs de CO2 de la start-up Climeworks, installés en Islande en sont un exemple : deux usines permettent de capter et stocker sous terre 10 000 tonnes de CO2 par an grâce au soutien de fonds privés et à la vente de crédits carbone. Cette liste de récentes trouvailles d’Homo Sapiens permettant de pomper dans l’air le carbone qu’il y a déversé est loin d’être exhaustive.

Pour l’heure, l’ensemble de ces nouvelles méthodes ne permet de retirer de l’atmosphère que 1,3 million de tonnes de CO2 par an, soit moins de 0,1 % du total du CO2 éliminé par l’humanité, souligne le rapport publié par l’université d’Oxford. Ses auteurs pointent le fait que «compter sur le CDR, en particulier à grande échelle (celle de la gigatonne) comporte des risques sociaux, environnementaux et de durabilité» et pourrait détourner l’attention du chantier titanesque et archi-prioritaire qu’est la réduction drastique des émissions. Ils insistent : l’élimination du carbone de l’atmosphère doit intervenir en complément de la chasse aux émissions et de la décarbonation de l’économie mondiale et ne pourra en aucun cas s’y substituer.

«Cependant, si elles sont stratégiquement planifiées et déployées, certaines options de CDR peuvent aussi bénéficier aux personnes et à la nature», estiment-ils. Si les techniques d’élimination du carbone ont été portées ces dernières années d’une «croissance rapide» en matière de recherche et développement, les auteurs remarquent des «signes de ralentissement» récents. Ces procédés ont par ailleurs peu été évoqués dans les négociations officielles lors de la COP28 sur le climat de fin 2023, bien qu’ils aient été très présents en marge de celles-ci (dans des conférences ou autres événements).

Les experts internationaux recommandent donc aux gouvernements comme aux investisseurs de «changer rapidement d’échelle», pointant des financements parfois «incertains», et de favoriser le développement d’une «gamme diversifiée» de méthodes de CDR afin d’atteindre l’objectif fixé par l’accord de Paris. Le tout, bien sûr, accompagné de solides protocoles d’évaluation, de suivi et de vérification.