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A la loupe

2023 : l’été le plus chaud depuis 2000 ans dans l’hémisphère Nord

En observant les cernes des arbres, une équipe de chercheurs a pu définir que l’été 2023 était plus chaud, d’au moins un demi-degré, que l’été le plus chaud avant l’ère industrielle dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord.
L'incendie de York brûle dans la réserve nationale de Mojave, le 30 juillet 2023. (David Swanson/AFP)
publié le 14 mai 2024 à 18h02

L’été 2023, a été, dans les zones tempérées de l’hémisphère nord, le plus chaud depuis 2000 ans, rapporte une équipe de chercheurs dans une étude publiée par la revue Nature ce mardi 14 mai. «Ce n’est pas une surprise, mais le fait que 2023 sorte autant du lot est inquiétant», commente l’auteur principal, Jan Esper, climatologue à l’Université Johannes-Gutenberg de Mayence, alors que l’année 2024 s’annonce encore plus chaude.

Ce constat n’est pas une surprise, car beaucoup de records météorologiques ont été battus au cours de l’année 2023. Météo-France, en se basant sur ses propres mesures, avait déjà placé 2023, deuxième au classement des années les plus chaudes depuis le début du XXe siècle en France. Du côté du programme européen Copernicus, Samantha Burgess, directrice adjointe du service changement climatique, estimait même que «les températures en 2023 dépassaient probablement celles de toute autre période au cours des 100 000 dernières années», selon les données des modèles climatiques. Pour l’organisation météorologique mondiale (OMM), les records les plus inquiétants de 2023 étaient la fonte des glaciers, les canicules océaniques et le retrait de la banquise antarctique. Le réchauffement climatique dû aux émissions de dioxyde de carbone par les activités humaines est, en 2023 et en 2024, amplifié par une phase intense du phénomène naturel El niño.

Dans ce contexte, qu’apporte l’étude de Jan Esper ? Elle se base sur des données différentes. Jan Esper ne fait pas des modèles informatiques compliqués, il ne relève pas les données des stations météo. Jan Esper compte les cernes des arbres. Ces cercles concentriques visibles sur les troncs des arbres coupés et qui donnent des informations précieuses sur l’âge et les conditions de pousse des végétaux. De fait, en compilant les données de milliers d’arbres issus de neuf sites répartis dans les zones tempérées de l’hémisphère nord (Etats-Unis, Europe, etc.), le chercheur, aidé de plusieurs équipes, a démontré qu’il disposait là d’un bon indicateur - ou «proxy» - pour estimer la température de chaque été depuis 2000 ans pour les zones continentales de l’hémisphère nord, hors zones tropicales. Une précision inaccessible jusqu’à présent. «Pour la concentration atmosphérique en gaz carbonique, on a une résolution de l’ordre du siècle, ou quelques siècles, sur 800 000 ans grâce à l’air piégé dans les glaces antarctiques. Pour la température, on a des reconstitutions décennie par décennie», explique la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte.

En utilisant les cernes des arbres, les scientifiques améliorent donc la connaissance fine des températures. Ils définissent un écart entre la température de chaque été, et la température moyenne de 1850 à 1900, la période de référence pour définir le climat avant l’ère industrielle. Ainsi, l’été de l’an 246 était 0,88 °C plus chaud que la moyenne. A l’inverse, l’été 536 était 1,86 °C plus frais que la moyenne des étés de 1850 à 1900. L’été 2023, lui était 2,07 °C plus chaud que la moyenne. En remontant la comparaison jusqu’à 2000 ans, les chercheurs ont une vision plus large de la réalité de la variabilité naturelle du climat avant l’émission massive de gaz à effet de serre générée par l’utilisation des énergies fossiles. En prenant en compte les marges d’erreur, l’été 2023 est plus chaud d’au moins 0,5 °C que le plus chaud été que l’humanité a connu avant l’ère industrielle (toujours en considérant la température sur terre, dans l’hémisphère nord, dans les zones tempérées).

Là encore, ce résultat était attendu. «Le rapport du GIEC de 2021 avait déjà montré que la période des derniers 50 ans montrait un rythme et une ampleur inédite sur plus de 2000 ans», explique Valérie Masson-Delmotte. L’étude signée par Jan Esper vient donc apporter une preuve supplémentaire du caractère exceptionnel de la vitesse du réchauffement climatique en cours. Un résultat renforcé par une autre étude publiée dans le journal PNAS le 13 mai. Cette dernière regardait l’évolution de la concentration en CO2 dans les glaces en antarctique. Selon elle, l’augmentation contemporaine est dix fois plus rapide que toutes les autres qui ont eu lieu les 50 000 années passées.

Le consensus scientifique actuel sur le réchauffement climatique, inquiétant, et son origine humaine, indéniable, ne signifie pas que tout est parfaitement connu. Par exemple, la mesure exacte de la température du globe de 1850 à 1900 reste une question. La faute au faible nombre de station météo à l’époque. Dans son article, Jan Esper n’en dénombre que 58 dont 45 en Europe, contre des milliers durant le vingt et unième siècle. Ainsi, la température donnée par les cernes des arbres est 0,24 °C plus basse que celle donnée par les mesures de l’époque. Cette incertitude sur la définition de la température exacte dans le passé a d’ailleurs conduit le chercheur à travailler sur les écarts de température entre les périodes plutôt que sur les valeurs absolues. Quoi qu’il en soit, ces résultats montrent, si c’était encore nécessaire, «l’urgence» d’une politique de réduction des émissions de carbone à l’échelle internationale.