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A COP29 de Bakou, près de 1 800 lobbyistes du pétrole et du gaz s’incrustent dans les débats

Venus en masse en Azerbaïdjan, les porte-voix de l’industrie fossile tentent de peser sur l’agenda des négociations au sommet climat onusien. Ces VRP sont plus nombreux que les délégués des dix nations les plus vulnérables au réchauffement.
Une conférence de presse à la COP29, à Bakou, le 15 novembre 2024. (Maxim Shemetov/Reuters)
publié le 15 novembre 2024 à 18h23

Le chiffre n’est pas record mais se hisse dans le peloton de tête. Quelque 1 800 lobbyistes des énergies fossiles ont fait le déplacement pour peser sur les négociations climatiques à la COP29 de Bakou, en Azerbaïdjan. Alors que le sommet onusien se tient dans un pays producteur de pétrole cette année encore, la coalition d’ONG de défense de l’environnement Kick Big Polluters Out («Virons les gros pollueurs») relève que ces VRP du pétrole et du gaz ont reçu plus de laissez-passer pour le sommet climat que tous les délégués des dix nations les plus vulnérables au réchauffement réunis, soit un peu plus de 1 000 personnes. «Ce qui souligne à quel point la présence de l’industrie éclipse celle de ceux qui sont en première ligne de la crise climatique», pointent les associations.

«Comme un serpent venimeux autour de l’avenir de notre planète»

Ce vendredi 15 novembre, les 53 000 participants à la COP29 ont été accueillis par un serpent géant de feu et de flammes brandi par des manifestants appelant à l’exclusion des grands pollueurs. «L’emprise du lobby des combustibles fossiles sur les négociations climatiques est comme un serpent venimeux qui s’enroule autour de l’avenir même de notre planète, a imagé Nnimmo Bassey, membre de la Fondation pour la santé de la Terre Mère. Nous devons prendre des mesures décisives pour leur ôter toute influence et leur faire payer leurs infractions à l’égard de notre planète.»

Chaque année, cette présence indésirable fait polémique, les associations dénonçant des «pyromanes» qu’on inviterait à éteindre l’incendie ou des marchands d’armes conviés à des pourparlers pour la paix. En 2023, lors de la COP28 à Dubaï, les représentants d’intérêts étaient plus de 2 400 alors qu’ils étaient «seulement» 600 à Charm el-Cheikh en 2022 et 500 à Glasgow en 2021. «Il est malheureux que le secteur des énergies fossiles et les pétro-Etats aient pris le contrôle du processus de la CO, à un niveau qui n’est pas sain», a jugé l’ancien vice-président américain Al Gore, qui n’a pas manqué de pointer les émissions de gaz à effet de serre de l’Azerbaïdjan, l’un des berceaux de l’extraction pétrolière moderne.

Selon la coalition Kick Big Polluters Out, les lobbyistes des énergies fossiles dépassent en nombre «la délégation de presque chaque pays», exception faite de celles de l’Azerbaïdjan (2 229 personnes), du Brésil (1 914), futur pays hôte de la COP30, et de la Turquie (1 862). Parmi les délégations nationales, le Japon a emmené le géant du charbon Sumitomo et le Canada les producteurs de pétrole Suncor et Tourmaline. Ensemble, les majors occidentales Chevron, ExxonMobil, BP, Shell et Eni ont réuni «39 lobbyistes». Depuis la COP28, les nouvelles règles de l’ONU permettent de repérer plus facilement leur présence, les participants devant déclarer des informations sur leur employeur et leurs relations financières avec l’entité qui demande leur accréditation.

Les ONG ont inclus dans leur décompte des personnes liées à des entreprises dont l’activité principale n’est pas les énergies fossiles, comme EDF ou le champion danois des renouvelables Orsted. De quoi relativiser quelque peu le chiffre exact des personnes affiliées aux hydrocarbures présentes à Bakou. Selon Mediapart, ce sont «au moins 196 représentants directs des géants mondiaux» de ces combustibles qui ont été accrédités pour le sommet. A l’inverse, «d’autres industries polluantes profondément impliquées dans la crise climatique, telles que la finance, l’agro-industrie et les transports, sont également présentes», mais n’ont pas été prises en compte dans l’analyse des ONG.

«Oui, on est une partie du problème»

Côté français, le PDG de la major TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a tenu à faire le déplacement, à l’instar de nombreux autres patrons et consultants du monde des fossiles. Tous se présentent comme des partenaires indispensables à la transition énergétique, bien que Total affiche sans détour vouloir faire «croître [sa] production de pétrole et de gaz», d’ici à 2030.

Venu passer la journée à la COP29, Patrick Pouyanné a donc défendu vendredi 15 novembre les actions de son entreprise et du secteur. «Oui, on est une partie du problème» climatique, mais «on est dans une logique de progrès continu», même «si on ne va jamais assez vite» aux yeux de la société, a-t-il affirmé lors d’un échange sur le pavillon de l’Azerbaïdjan avec Rovshan Najaf, le président de la compagnie pétrolière nationale Socar, et Fred Krupp, président de l’Environmental Defense Fund, une ONG américaine. Le PDG français a qualifié de «signal important» l’accord conclu l’an dernier à la COP28 de Dubaï, qui a acté que le monde devait mener une «transition» hors des énergies fossiles. Mais «il ne faut pas croire qu’en six mois, un an, tout ça va s’arrêter», a-t-il dit, rappelant que la demande des Européens en gaz a récemment augmenté. «Je sais que l’urgence est là, j’en suis conscient», a-t-il reconnu, arguant que tout cela prend «un peu de temps».