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Libération
Reportage

A Montpellier, les eaux usées abreuvent nos sillons

La métropole veut réutiliser 30% de l’eau de ses stations d’épuration pour l’agriculture, l’extinction d’incendies ou encore le nettoyage de la voirie. Sur deux plateformes expérimentales, des équipes planchent sur ces nouveaux usages.
Le clarificateur de la station d'épuration de Saint-Drézéry, près de Montpellier, le 22 février. (David Richard/Transit pour Libération)
publié le 1er mars 2023 à 7h40

Cachés par l’herbe, de fins tuyaux noirs longent les pieds de vigne. En cette fin février, le goutte-à-goutte est à l’arrêt malgré le sol déjà craquelé. L’été, il crachote une eau peu conventionnelle : celle de la station d’épuration en contrebas. Murviel-lès-Montpellier, dans l’Hérault, accueille une plateforme expérimentale de Réutilisation des eaux usées traitées (REUT) pour la viticulture et le maraîchage. «Historiquement, ici, on n’irriguait pas la vigne. Mais avec le changement climatique, la question se pose. Si on veut économiser l’eau potable, le recours à l’eau usée traitée est intéressant», explique Nassim Ait Mouheb, en fixant le pic Saint-Loup à l’horizon. Chargé de recherche à l’Inrae, il coordonne depuis 2017 ce projet pilote mené dans la métropole de Montpellier. L’homme au manteau kaki parcourt la parcelle en pente, propriété d’un de ses collègues agronome. Dans ce terrain cultivé sans labour ni fertilisants chimiques, la vigne côtoie oliviers, grenadiers et luzerne.

«L’eau usée traitée, riche en nutriments, couvre un tiers des besoins de la vigne en azote. Et en 2022, les rendements se sont maintenus malgré la sécheresse car nous ne sommes pas soumis aux restrictions d’eau», commente-t-il, lunettes claires sur le nez. Mais pas question de gaspiller cette ressource alternative. Sur le demi-hectare de terres, de petits capteurs calculent les besoins exacts du sol en humidité. Le goutte-à-goutte aide : le système est précis, économe et il réduit les risques de contamination. Le jus du raisin produit dans la parcelle est-il pour autant inoffensif pour la santé ? «Selon des résultats préliminaires de notre expérimentation, il ne contient pas d’indicateurs de pathogènes», indique le scientifique. Comprendre : pas de virus ou de bactéries néfastes pour l’être humain.

Scruter le goutte-à-goutte

A une centaine de mètres de là, la station d’épuration des Pradaïes dégage de légers effluves. Elle reçoit les eaux domestiques des 2 000 habitants de la commune. Le liquide brun est d’abord filtré et assaini, grâce à 3 700 m² de roseaux plantés sur un lit de gravier. «Avec le vent, ils font mécaniquement bouger la matière, ils l’aèrent, la vie bactérienne peut ainsi mieux dégrader l’azote», explique l’un des chargés de projet REUT, Louis Moulis, veste grise siglée «Régie des eaux» sur le dos. Ce système d’épuration par les plantes, moins coûteux, est courant en zone rurale. L’eau subit aussi un traitement pour réduire sa teneur en phosphore. Une partie est ensuite captée pour l’irrigation, tandis que le reste se déverse dans le ruisseau voisin afin de maintenir son débit à un niveau élevé.

Sous une serre installée dans l’enceinte de l’installation, de grands bacs verts se sont vidés de leurs salades et poireaux. L’Inrae y a testé des eaux de différentes qualités pour mesurer l’effet sur le sol, le rendement des légumes et y chercher d’éventuelles traces de pathogènes et de polluants médicamenteux. Le système de goutte-à-goutte est aussi scruté de près : les bactéries restantes peuvent produire un film biologique gluant qui obstrue l’écoulement. «Tout ce dispositif permet d’avoir des données fiables pour rassurer les consommateurs et adapter la très stricte réglementation française, conclut Nassim Ait Mouheb, rappelant qu’en Espagne cette pratique était très prisée pour le maraîchage et que «ces produits se retrouvent dans nos grandes surfaces».

Le chercheur a aussi installé à proximité une station miniature de filtration équipée d’un système de fines membranes. Cet outil innovant transforme directement les eaux brutes en un liquide de bonne qualité, tout en conservant l’azote et le phosphore, des éléments mauvais pour les cours d’eau, mais bons pour fertiliser naturellement les champs.

Coquelicots, phacélies, pissenlits et carottes sauvages

A une trentaine de kilomètres de là, à l’autre bout de l’agglomération de Montpellier, d’autres usages de cette pratique sont expérimentés depuis 2018 par la station de Saint-Drézéry, dans laquelle 10 % de l’eau est stockée pour être réutilisée. De mai à octobre, elle irrigue deux parcelles attenantes. L’une est plantée de jeunes saules, arrosés avec parcimonie par un goutte-à-goutte ; ces arbres à croissance rapide sont régulièrement coupés à ras, broyés et séchés, pour alimenter en énergie (biomasse) les chaudières de la métropole. L’autre est une prairie semée sur une ancienne friche agricole où coquelicots, phacélies, pissenlits ou carottes sauvages fleurissent au printemps. Des haies de noisetiers et peupliers y ont aussi été plantées. «On doit irriguer ces jeunes arbres pendant les premières années car le sol est très sec», précise Morgane Brites en examinant les premiers bourgeons de la saison. L’ingénieure agronome porte la veste fluorescente du bureau d’études DV2E, partenaire de la métropole. «Ici, nous créons une zone de continuité écologique pour les insectes et les oiseaux. Il est indispensable que les eaux usées aient aussi un usage environnemental», appuie sa collègue Eve de Bonadona, bottes vertes décorées de fleurs aux pieds. La qualité des sols et de la biodiversité est régulièrement étudiée.

«Toutes ces recherches sont le terreau sur lequel nous avons construit notre future unité mobile, qui ressemblera au camion de “C’est pas sorcier”», s’enthousiasme Anne-Bénédicte Wommelsdorf, de la Régie des eaux. Car la métropole de Montpellier voit plus grand. L’engin itinérant desservira cinq des treize stations d’épuration de son territoire à partir de 2024. Après traitement, l’eau sera stockée sur chaque site. «Nous serons capables de produire quatre qualités d’eau différentes, dont une supérieure à ce que demande la réglementation. Nous embarquerons de la technologie de pointe qui fonctionne avec des membranes. C’est cher, mais elle a une bonne durée de vie», déroule Anne-Bénédicte Wommelsdorf, qui coordonne ce projet surnommé «ReWa». Avec un coût estimé à 1,8 million d’euros, il est financé à 55 % par des fonds européens.

«Nettoyer les citernes plus souvent»

La mise en circulation d’un camion chargée d’eaux usées retraitées vise à en élargir les usages : nettoyage des voiries, des canalisations, agriculture, arrosage des espaces verts ou extinction des incendies. Les pompiers de l’Hérault, qui ont déjà participé à deux essais pour évaluer les risques sanitaires liés aux gouttelettes dispersées par les lances à eau, en faisaient la demande depuis longtemps. «Une bonne qualité d’eau usée retraitée ne représente pas de risque pour eux s’ils portent leur équipement habituel, détaille Eve de Bonadona de DV2E, aussi partenaire du projet ReWa En revanche, il est recommandé de nettoyer les citernes plus souvent.»

Montpellier compte enfin convertir la plus grosse station de son territoire à cette pratique. Un équipement qui dessert plus de 400 000 habitants et rejette pour l’heure ses eaux usées dans la Méditerranée. «La sécheresse de l’été dernier a été extrêmement inquiétante, ça nous oblige à innover. A l’horizon 2030, nous avons pour objectif de réutiliser 30 % des eaux usées», précise Michaël Delafosse, maire PS de la ville et président de la métropole. Et l’élu d’évoquer «une vision à 360 degrés» sur l’eau. «Depuis le 1er janvier, pour pouvoir piloter librement son usage à long terme, l’assainissement de la métropole est redevenu public», expose-t-il. Les rues sont aussi en chantier pour réparer les fuites des canalisations, qui laissent 25 % d’or bleu s’échapper. Enfin, depuis le début de l’année, métropole applique une tarification progressive de l’eau. «Les quinze premiers mètres cubes sont gratuits pour tous, précise Michaël Delafosse. Ensuite, plus vous consommez, plus vous payez. Ainsi, ceux qui arrosent leur gazon tous les jours sont invités à changer de modèle.»