De la sauce tomate sur les Tournesols de Van Gogh, de la purée sur les Meules de Monet… Que ce soit à Londres ou à Potsdam, l’objectif est le même : alerter face à l’urgence du dérèglement climatique. Les deux actions ont été menées les 14 et 23 octobre par les mouvements Just Stop Oil et Letzte Generation («dernière génération» en allemand). Pourtant sans conséquences − puisque les tableaux sont protégés par une vitre − ces actions ont suscité de nombreuses réactions véhémentes en Europe. Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS, est spécialiste du militantisme écologique. Elle revient sur ce registre revendicatif de la «scandalisation», loin d’être inédit mais nouveau pour l’écologie.
Pas de blessé, pas de dommages pour les tableaux… Pourtant, une partie de l’opinion se dit choquée par ces actions. C’est l’objectif de ces jeunes mouvements ?
Ce que veulent exprimer ces jeunes, c’est un sentiment de colère. Pour eux, les politiques ne vont pas assez vite. Encore plus après l’été que l’on a vécu : toute l’Europe a connu la canicule. L’idée, c’est l’urgence. Alors pour ce faire, les militants du climat se tournent vers l’action directe non violente. Ils s’attaquent à des œuvres d’art reconnues internationalement, presque des «icônes». Il y a un côté provocateur, disruptif, qui ne correspond pas aux codes habituels d’un musée et au respect que l’on porte aux œuvres. Donc, oui, cela choque.
Mais l’idée de militer par la scandalisation n’est pas nouvelle. On l’a déjà largement observé auparavant avec Act Up. Ce type de militantisme attire la jeune génération, très inquiète pour son futur. Ils ont ce sentiment de «fin» de la planète, d’où le nom du mouvement Letzte Generation : la dernière génération qui va devoir gérer le réchauffement climatique et tous ses effets sur la vie quotidienne, vraiment déçue face à l’inaction politique et anxieuse devant l’avenir écologique. L’objectif est de prouver qu’il se passe quelque chose de scandaleux : on conserve des œuvres d’art alors qu’on ne conserve pas la nature.
Ce type d’action ne risque-t-il pas de desservir le travail entrepris depuis des décennies par les associations environnementales, qui luttent plus consensuellement contre le dérèglement climatique ?
Je dirais qu’elles sont surtout complémentaires. Les grandes organisations, peut-être plus structurées, ne promeuvent ni ne produisent ce type d’action. Ça ne veut pas dire qu’elles ne les soutiennent pas. Certaines associations s’occupent de la concertation avec le politique, notamment France Nature Environnement et les Amis de la Terre. Parallèlement, l’action directe de ces jeunes maintient ces questions-là dans l’agenda international et national. Ils participent à l’idée que la lutte écologique est active. Ce qui n’enlève rien au travail des associations effectué sur le terrain et auprès des élus.
La multiplication de ces actes ne risque-t-elle pas de les banaliser ?
Bien sûr, c’est tout à fait possible. A l’heure actuelle, il y a beaucoup de réactions, il faudra voir si dans six mois on en parle encore. Effectivement, s’ils continuent, les médias et les populations pourraient se lasser. Quand on regarde, les attaques contre les Meules de Monet ou la statue de cire de Charles III au Madame Tussauds de Londres ont déjà fait moins de bruit que la première, celle contre les Tournesols de Van Gogh. S’ils en font tous les jours…
A mon avis, ils vont être assez imaginatifs pour trouver d’autres formes d’action. Ils s’en sont pris aux espaces sportifs [le tournoi de Roland-Garros et le Tour de France, par le mouvement Dernière Rénovation, ndlr] et désormais, au monde de la culture… Peut-être vont-ils se tourner vers d’autres dynamiques de mobilisation pour également choquer et interpeller l’opinion dans ses activités plus quotidiennes et banales. L’occasion de démultiplier l’action directe non violente dans tous les espaces publics.