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Changement climatique : la reforestation, seule, ne nous sauvera pas

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Une nouvelle étude scientifique publiée ce jeudi 22 février pointe les limites de l’absorption du CO2 par les forêts et plaide pour la mise en place d’autres politiques pour éviter les émissions de carbone par les activités humaines.
Le verger à graines de Lavercantière dans le Lot, le 8 novembre 2023. (Ulrich Lebeuf/MYOP pour Libération)
publié le 22 février 2024 à 20h01

A quel point la reforestation peut-elle limiter le changement climatique ? Pas suffisamment pour être la réponse unique au problème, répond une étude publiée par deux chercheurs de l’université de Sheffield (Royaume-Uni), James Weber et Maria Val Martin, dans la revue Science ce jeudi 22 février. Selon eux, dans un scénario avec un réchauffement climatique global de 4 °C en 2100, un effort massif de reforestation globale ne compenserait que 14 % de la hausse de CO2 dans l’atmosphère.

Les chercheurs ont fait tourner de puissants modèles climatiques pour simuler précisément l’impact d’une campagne massive de replantation d’arbres sur le changement climatique dans les années à venir. On sait que les forêts sont des puits de carbone. Les végétaux capturent le CO2 dans l’atmosphère pour pousser. Ce faisant, elles limitent l’augmentation moyenne de la température du globe due aux émissions par les activités humaines. Mais, dans cet article, les scientifiques ont aussi voulu s’intéresser à deux autres effets contraires des forêts, moins connus.

«Reboiser en région tropicale a plus d’effets bénéfiques qu’une forêt boréale»

D’une part, une forêt, vue de haut, est souvent plus sombre que le sol. Les rayons du soleil vont donc moins s’y réfléchir que sur le sol. On appelle ce phénomène l’albédo. C’est lui qui explique que la neige (blanche) nous éblouit, car elle réfléchit beaucoup la lumière. Or, si la taille d’une forêt augmente, l’albédo diminue et fait donc augmenter mécaniquement la chaleur retenue par la Terre.

«Très peu de modèles peuvent intégrer toutes les interactions biophysiques et chimiques entre les forêts et l’atmosphère comme le fait cet article. Ils montrent bien que reboiser en région tropicale a plus d’effets bénéfiques qu’une forêt boréale qui recouvrira le manteau neigeux à fort albédo», commente Jérôme Ogée, bioclimatologue à l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique).

Le deuxième effet pervers des forêts que les auteurs prennent en compte est l’émission par les arbres de certains composés organiques volatils. Ces composés jouent un rôle dans la création des nuages, ont eux-mêmes une capacité de réfléchir les rayons du soleil et viennent aussi modifier la composition chimique de l’atmosphère en perturbant le cycle de l’ozone ou du méthane. Selon cette nouvelle étude, ces deux effets (albédo et émissions de composés organiques) atténuent de 23 % à 31 % les effets positifs de la capture de CO2 dans un scenario étudié et de 14 % à 18 %, dans l’autre.

«C’est bon à prendre, mais cela ne suffira évidemment pas à stabiliser le climat»

Des résultats qui suggèrent que la reforestation «n’est probablement pas suffisante» pour réduire la quantité de CO2 dans l’atmosphère «à des niveaux compatibles avec les accords de Paris si d’autres mesures de réduction ne sont pas poursuivies en parallèle», écrivent les auteurs en conclusion de leur article.

Cette conclusion est renforcée par certaines limites de l’étude. Cette dernière ne prend pas en compte le risque accru de feux de forêts ou encore la baisse de l’absorption du CO2 par les plantes dans un climat plus chaud (et on ne parle même pas de crise de la biodiversité). «Leur principale conclusion est qu’une reforestation massive permettrait d’éviter l’ajout de quelques dizaines de ppm (parties par million) de CO2 dans l’atmosphère, qui est à comparer à l’effet global des activités humaines qui se comptera en centaines de ppm à la fin du siècle. C’est bon à prendre, mais cela ne suffira évidemment pas à stabiliser le climat», conclut Denis Loustau, spécialiste en écologie des forêts à l’Inrae. Pour limiter le changement climatique, un énorme effort de sobriété devra donc bien être consenti.