«Je veux que vous paniquiez», disait la militante suédoise Greta Thunberg en 2019 devant l’ONU, en s’adressant aux dirigeants du monde au sujet de la crise climatique. Quatre ans plus tard, si ces derniers ne semblent toujours pas avoir pris la mesure du danger, des scientifiques crient désormais leur peur. Fini les constats froids et les déclarations avec des pincettes. Dans un rapport sur l’état du climat en 2023 publié dans la revue BioScience lundi 23 octobre, une dizaine de chercheurs internationaux se désolent de l’ampleur actuelle des événements extrêmes et de la hausse des températures, malgré des années d’alerte sur l’impact néfaste des activités humaines sur le climat et la biodiversité. A tel point que «la vie sur la planète Terre est en état de siège». Et que l’existence même de l’humanité est menacée à cause des «progrès minimes» dans la lutte contre le changement climatique. «En tant que scientifiques, on nous demande de plus en plus de dire au public la vérité sur les crises auxquelles nous sommes confrontés, en termes simples et directs. La vérité est que nous sommes choqués par la férocité des événements météorologiques extrêmes de 2023. Nous avons peur du territoire inconnu dans lequel nous sommes désormais entrés», écrivent-ils.
«Souffrances massives»
Vagues de chaleur exceptionnelles, inondations meurtrières, températures record sur la planète, feux de forêt au Canada qui ont rejeté plus que les émissions annuelles du pays, océans historiquement chauds, manque de glace de mer sans précédent en Antarctique… Graphiques vertigineux à l’appui, ils rappellent que 2023 a enchaîné les catastrophes et que «les extrêmes passés» ont été battus «avec une énorme marge». «C’est le signe que nous poussons nos systèmes planétaires vers une dangereuse instabilité», concluent-ils. Le réchauffement climatique, actuellement de +1,2°C par rapport à l’époque préindustrielle, en est le «facteur clé». D’autres éléments ont potentiellement pu jouer un rôle à la marge (El Niño, éruption volcanique sous-marine, baisse des émissions de soufre…).
La coalition de scientifiques souligne aussi que pas moins de vingt des 35 «signes vitaux» planétaires (pollution par le CO2, consommation d’énergie et de viande par habitant, déforestation, dépérissement des forêts, jours de chaleur extrême…) ont atteint un niveau record en 2023. Pendant ce temps, les subventions aux combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon, de loin les principaux responsables des émissions mondiales de gaz à effet de serre) continuent à croître pour atteindre des niveaux astronomiques, la consommation de charbon bat de nouveaux records et les émissions poursuivent leur ascension en flèche.
«Les souffrances massives dues au changement climatique sont déjà là, et nous avons désormais dépassé de nombreuses limites du système Terre, mettant en péril la stabilité et les systèmes de survie», poursuivent-ils. Ils recommandent non seulement de réduire les émissions de CO2 en sortant des énergies fossiles, mais aussi d’arrêter la surexploitation de l’ensemble des ressources planétaires (minerais, forêts, eau, etc.) avec «courage» et «détermination».
«Sur la bonne voie vers l’effondrement»
Sans ces actions, «nous sommes sur la bonne voie vers l’effondrement potentiel des systèmes naturels et socio-économiques et vers un monde avec une chaleur insupportable et des pénuries de nourriture et d’eau douce», avertit Christopher Wolf, de l’Oregon State University, l’un des principaux auteurs. Lui et ses confrères craignent l’atteinte de «points de bascule dommageables plus tôt que prévu» et rappellent que d’ici la fin de ce siècle, le lieu de vie d’au moins un tiers de la population mondiale pourrait devenir inhabitable. «La situation va devenir très pénible et potentiellement ingérable pour de grandes régions du monde, avec le réchauffement de 2,6°C attendu au cours du siècle», si les pays ne revoient pas leurs engagements climatiques à la hausse.
«Le constat le plus grave de leur analyse est caché entre les lignes : les efforts de nos gouvernements sont loin d’être à la hauteur des mesures nécessaires pour assurer l’habitabilité de la planète. Face à ces risques globaux, nous continuons à construire des autoroutes, nous agrandissons les aéroports et nous permettons à l’industrie pétrolière et gazière de se développer, par exemple en construisant des oléoducs chauffés à travers l’Afrique», pointe Wolfgang Cramer, écologue et géographe, qui participe aux travaux du Giec et n’a pas contribué à l’étude citée.
Ce mardi, un rapport de l’Université des Nations Unies sur les «risques de catastrophes interconnectées» enfonce encore le clou. Fonte des glaciers, assèchement des nappes souterraines, extinction accélérée des espèces, chaleur insupportable, mais aussi crise des systèmes d’assurance et multiplication des débris spatiaux… Il liste six menaces qui pourraient faire basculer des systèmes indispensables à la vie humaine. Le document souligne que beaucoup de solutions mises en œuvre, par exemple la climatisation, repoussent les problèmes sans vraiment s’attaquer à la «source profonde» et à un changement sociétal. Autrice principale du rapport, Zita Sebesvari rappelle qu’«un véritable changement transformateur implique tout le monde».