Il y a les belles paroles sur le climat. Et il y a les actes, la réalité. En matière de hiatus entre les deux, les banques françaises sont championnes. Depuis l’adoption de l’Accord de Paris fin 2015, celles-ci ont financé les très climaticides énergies fossiles à hauteur de 295 milliards de dollars (248 milliards d’euros), selon un rapport publié mercredi par six ONG internationales, dont Reclaim Finance et Rainforest Action Network.
Tendance à la hausse
Publié chaque année, ce rapport se base sur les données de l’agence Bloomberg et étudie les financements (prêts et émissions d’actions et d’obligations) accordés par les 60 plus grandes banques du monde à quelque 2 300 entreprises des secteurs du charbon, du pétrole et du gaz. Au total, calcule l’édition 2021, ces 60 banques ont accordé pas moins de 3 800 milliards de dollars (3 200 milliards d’euros) aux entreprises actives dans les énergies fossiles entre 2016 et 2020.
Et la tendance est à la hausse, en contradiction avec les promesses faites en marge de l’Accord de Paris (qui, il est vrai, concernaient alors surtout le charbon). Les niveaux de 2020 (751 milliards de dollars, soit 633 milliards d’euros, pour les 60 banques cumulées) sont supérieurs de près de 6% à ceux de 2016 (709 milliards de dollars, soit 597 milliards d’euros). Et ce malgré une baisse de près de 9% des financements accordés aux énergies fossiles en 2020 dans le monde, causée par la récession liée à la pandémie de Covid-19.
Première place du podium européen
Les banques françaises ne font pas exception à cette pente dangereuse, puisqu’elles ont accru leurs financements aux énergies fossiles en moyenne de 19% par an entre 2016 et 2020, indique le rapport. En 2020, avec 86 milliards de dollars (72 milliards d’euros) investis dans ces énergies très carbonées, soit près de deux fois plus qu’en 2016, les banques françaises se hissaient à la première place du podium européen des plus grands financeurs d’énergies fossiles, devant les banques britanniques. Sur le podium mondial, elles occupaient l’an dernier la quatrième place, la première revenant aux banques états-uniennes comme JPMorgan Chase, Citi, Wells Fargo ou Bank of America.
BNP Paribas, «roi des hypocrites»
BNP Paribas est particulièrement pointée du doigt. Avec 41 milliards de dollars (35 milliards d’euros) de financements aux énergies fossiles en 2020, c’est la banque qui a «le plus augmenté ses soutiens (aux fossiles) entre 2019 et 2020 au niveau international», remarquent les ONG. Cette banque, la première française, était en 2020 «le plus grand financeur européen et 4e mondial de l’industrie des énergies fossiles», calculent-elles.
A lire aussi
Selon le rapport, les géants pétroliers BP et Chevron ont reçu de BNP Paribas 13 milliards de dollars (11 milliards d’euros) de soutiens en 2020. Et les ONG remarquent que «BNP Paribas est le plus grand financier mondial entre 2016 et 2020 pour BP, Shell et Eni». Pour Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance, «au bal des hypocrites, BNP Paribas est roi. Pendant qu’elle se joignait aux appels publics en faveur d’une relance verte suite à l’éclatement de la crise du Covid-19, elle signait aussi, loin des projecteurs, des chèques de plusieurs milliards de dollars sans condition aux super-majors pétrolières et gazières».
BNP vante ses investissements dans les énergies renouvelables
Dans un courrier adressé aux ONG et transmis à Libération, la banque répond que «pendant la crise du Covid-19, BNP Paribas a moins soutenu le secteur pétrolier et gazier que les autres secteurs d’activité». Et de préciser qu‘«entre fin 2019 et fin 2020, (ses) encours à ce secteur ont progressé de 4,1%, contre 6,5% pour (ses) crédits à l’ensemble de l’économie». Fin 2020, se défend la banque, «le soutien financier direct aux entreprises du secteur pétrole et gaz ne représente que 1,9% du portefeuille de prêts de BNP Paribas».
Par ailleurs, elle assure avoir «encore renforcé» en 2020 «ses politiques d’exclusion dans les secteurs les plus à risque pour le climat, ainsi que son financement des nouvelles énergies». A fin 2020, précise-t-elle, «82% des projets de production d’électricité financés par le groupe sont des projets d’énergies renouvelables, soit 40% de l’ensemble des projets financés par BNP Paribas en 2020, contre 14% pour les projets de pétrole et gaz».
«Tolérance zéro»
BNP Paribas n’est pas la seule banque française à financer les énergies fossiles. Selon les ONG, en 2020, Crédit Agricole a ainsi accordé 3,7 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) à Total et la Société Générale 1,9 milliard de dollars (1,6 milliard d’euros) à Exxon.
Alors que le rapport note une baisse mondiale dans le financement du charbon, il remarque que les banques françaises «ont augmenté leurs financements aux pétrole et gaz les plus risqués, y compris ceux dits “non-conventionnels” comme les gaz et pétrole de schiste». Pour Lucie Pinson, «il est urgent d’appliquer au pétrole et au gaz la méthode déjà suivie par les banques françaises sur le charbon, à savoir une “tolérance zéro” à l’égard des entreprises qui piétinent les objectifs de l’accord de Paris en développant des projets incompatibles avec le budget carbone restant».
A lire aussi