C’est un nouveau record dont la planète se serait bien passée. Un record qui rappelle la réalité d’un monde accro aux énergies fossiles et souligne les défaillances de l’action climatique, alors que les Etats sont actuellement tous réunis à Bakou, en Azerbaïdjan, à l’occasion de la 29e conférence internationale sur le climat (COP29). Selon le dernier bilan du Global Carbon Project, réalisé par une équipe internationale de plus de 120 scientifiques, 2024 est en passe de devenir l’année au cours de laquelle ont été brûlés le plus de charbon, de pétrole et de gaz sur Terre.
L’étude, publiée dans la revue Earth System Science Data ce mercredi 13 novembre, prévoit que les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) liées à la production et à la consommation d’énergie fossile, atteindront 37,4 milliards de tonnes fin décembre, soit une augmentation de 0,8 % par rapport à 2023. C’est bien moins que les dynamiques enregistrées au début du siècle (+2,8 % en moyenne annuellement entre 2000 et 2009), mais c’est un rythme de hausse quasi identique à ce qui a été enregistré lors de la dernière décennie (+0,9 % en moyenne chaque année sur la période 2010-2019).
Pas de pic de CO2 en vue
Les émissions de CO2 annuelles liées au changement d’usage des terres (déforestation par exemple) devraient, elles, monter jusqu’à 4,2 milliards de tonnes en raison des effets d’El Niño – ce phénomène climatique naturel qui s’est achevé en juin et qui faisait enfler les températures – et des «conditions de sécheresse exacerbant les incendies, dus eux-mêmes à la déforestation et à la dégradation des forêts». Ce qui fait, en totalité, 41,6 milliards de tonnes de dioxyde de carbone rejetées en 2024, contre 40,6 milliards de tonnes l’an passé.
«Le niveau de CO2 dans l’atmosphère continue d’augmenter, entraînant un réchauffement planétaire de plus en plus dangereux», alerte le collectif scientifique, qui affirme qu’il n’y a toujours «aucun signe» d’atteinte du pic d’émissions de ce gaz à effet de serre, responsable n° 1 de la hausse des températures sur Terre. «Les effets du changement climatique sont de plus en plus dramatiques, mais rien n’indique encore que l’utilisation des combustibles fossiles ait atteint son maximum», explique Pierre Friedlingstein, premier auteur de ce travail et directeur de recherche CNRS à l’Ecole normale supérieure.
Cette année, ce sont le pétrole et le gaz naturel qui tirent à la hausse les émissions mondiales, avec des progressions respectives de 0,9 % et 2,4 %. Les projections du Global Carbon Project annoncent par ailleurs une augmentation de 0,2 % des émissions issues de la combustion du charbon, mais avec une grosse marge d’incertitude. En revanche, les scientifiques sont formels sur un point : les «niveaux actuels d’élimination du dioxyde de carbone par la technologie», qui n’inclut donc pas les moyens naturels tels que le reboisement, ne permettent que de «compenser un millionième du CO2 émis par les combustibles fossiles». Preuve s’il en fallait que la géo-ingénierie est loin d’être pour l’heure la solution miracle pour atténuer le réchauffement.
L’Union européenne, bonne élève
L’étude signale également que les émissions dues au trafic aérien et maritime international devraient augmenter de 7,8 % en 2024, tout en restant inférieures de 3,5 % à leur niveau pré-Covid. S’agissant des pays, l’Inde apparaît comme le pire élève, avec une hausse de 4,6 %. Les émissions de CO2 des Etats-Unis et de l’Union européenne continuent de baisser mais beaucoup moins fortement que l’an passé. Quant à celles de la Chine, première émettrice mondiale de rejet de dioxyde de carbone, elles devraient seulement connaître une légère hausse de 0,2 %. «En 2023, la Chine était sur une pente ascendante de +4 %, retrace le climatologue Philippe Ciais, coauteur de l’étude et directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. La dynamique semble décroissante, mais c’est impossible de savoir quand sera atteint le plateau de ses émissions. D’une année sur l’autre, les variations sont encore trop importantes.»
La 29e édition de la Conférence des parties de l’ONU s’est donnée pour principale mission de trancher sur le montant d’une nouvelle enveloppe financière destinée à accélérer la transition écologique et le processus de sortie des énergies fossiles. Prévues officiellement jusqu’au 22 novembre, les négociations s’annoncent complexes «malgré la nécessité urgente de réduire les émissions», insiste le consortium. Au rythme actuel de rejet de C02 dans l’atmosphère, l’équipe du Global Carbon Budget estime qu’il y a «50 % de chances que le réchauffement dépasse 1,5 °C de manière constante d’ici environ six ans» et rende définitivement caduc l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris. Lundi 11 novembre, à l’ouverture de la COP29, l’ONU a averti que cet objectif était en «grand danger», rappelant par ailleurs qu’il était désormais quasiment assuré que 2024 devienne l’année la plus chaude jamais enregistrée.
Selon le consensus scientifique international, la planète s’est déjà réchauffée de 1,3 °C depuis l’ère préindustrielle (1850-1900). Mais le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) prévoit un réchauffement de + 3,1 °C à la fin du siècle si les politiques climatiques ne s’intensifient pas radicalement. «Les déclarations des pays en faveur du climat sont largement insuffisantes. Les actions encore plus, insiste Philippe Ciais. Pour contenir le réchauffement à 2 °C, il faudrait réduire à zéro les émissions de CO2 de ces trente prochaines années. Autant dire que nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire…»