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Contrepoison

Climat : «Réduire les émissions de CO2 protégera nos petits-enfants, réduire celles de méthane nous protégera nous et nos enfants»

La Française Marielle Saunois alerte, dans une étude avec un collectif de scientifiques, sur la nécessité d’accélérer les efforts pour faire baisser les rejets de ce gaz au pouvoir ultraréchauffant. La chercheuse plaide pour des «actions fortes».
La pratique du torchage, qui consiste à brûler le méthane généré par l’extraction de gaz et de pétroles. (UCG/Getty Images)
publié le 1er août 2024 à 18h05

C’est probablement la solution la plus simple pour limiter le réchauffement climatique à court terme : réduire drastiquement les émissions de méthane (CH4) liées aux activités humaines. Ce gaz est rejeté lors de l’extraction du charbon, fuites sur les forages gaziers et pétroliers, fermentation digestive des vaches (flatulences et rots), fumier, rizières irriguées, décomposition de nos déchets dans les décharges… Les sources d’émissions anthropiques de ce gaz climaticide sont multiples, tout comme les solutions pour les endiguer, et engendrent 60 % des émissions totales de méthane dans l’atmosphère. Pourtant, aujourd’hui, malgré d’ambitieuses promesses arrachées aux décideurs politiques lors des derniers grands raouts sur le climat, le compte n’y est pas, alerte un collectif international de chercheurs dans une étude qui vient de paraître dans la revue scientifique Frontiers in Science.

La concentration de méthane dans l’atmosphère augmente «plus rapidement que prévu» tandis que les émissions devraient également continuer de croître «jusqu’à la fin des années 2020 si aucune mesure plus importante n’est prise», martèlent les auteurs dans cette synthèse des derniers travaux publiés dans le domaine. Or, si toutes les émissions de méthane étaient réduites immédiatement, plus de 90 % de ce gaz accumulé aurait quitté l’atmosphère en l’espace de trente ans ; sa durée de vie est relativement courte – une dizaine d’années en moyenne –, contrairement au CO2, qui une fois relâché imprègne le globe pendant plus d’un siècle.

S’attaquer «à tous les principaux polluants du climat»

Si des actions fortes étaient prises vite, cela augmenterait grandement les chances de rester sous la barre fatidique des + 1,5-2°C de l’accord de Paris, souligne Marielle Saunois, coautrice de l’étude, chercheuse au laboratoire LSCE-IPSL et professeure à l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines. «Jouer sur la réduction du méthane est le levier le plus puissant pour réduire le réchauffement à court terme. Mais attention, ce n’est pas une alternative à la réduction des émissions de CO2, c’est complémentaire : la réduction du CO2 protégera nos petits-enfants, et réduire en parallèle les émissions de méthane nous protégera nous et nos enfants», explique la spécialiste. Ce n’est pas parce qu’il pleut à Paris qu’il ne fait pas très chaud ailleurs et que les extrêmes climatiques ont disparu.» Et la chercheuse de pointer les symptômes d’un climat déréglé entre les récents glissements de terrain dans l’Hexagone, les canicules aux quatre coins du monde et les records de température toujours plus inquiétants.

«Les efforts déployés à l’échelle mondiale pour limiter le changement climatique se concentrent à juste titre sur le dioxyde de carbone (CO2), qui en est le principal responsable. Cependant, comme l’humanité n’a pas réussi à s’attaquer de manière adéquate au changement climatique depuis plusieurs décennies, le maintien du réchauffement en deçà des objectifs convenus exige désormais que nous nous attaquions à tous les principaux polluants du climat» dont le méthane, écrivent les auteurs de l’étude. Le CH4 est médaille d’argent des gaz à effet de serre responsables du changement climatique ; responsable à lui seul d’un tiers de la hausse des températures globales depuis la période préindustrielle, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Dans Frontiers, les chercheurs listent donc les multiples solutions sur la table des décideurs : détection et réparation des fuites sur les infrastructures gazière et pétrolière, captage du méthane et utilisation pour la production d’énergie, arrêt du torchage (ce processus qui consiste à brûler le méthane généré par l’extraction de gaz et de pétrole dans une torchère, un long tuyau s’élevant dans les airs par lequel de larges flammes jaunes et rouges s’échappent, et génère du CO2 accompagné d’un cocktail de polluants toxiques voire cancérigènes). Le tout avec en ligne de mire l’élimination des combustibles fossiles du mix énergétique des pays, la diminution du nombre de tête de bétail via une alimentation plus végétale «plus saine», ou encore la diminution des déchets organiques dans les décharges grâce notamment au compostage et à la réduction du gaspillage alimentaire.

Rétroaction climatique sur les zones humides

Plus de 150 pays ont rejoint l’initiative Global Methane Pledge lancé lors de la COP26 à Glasgow en 2021 qui vise à réduire de 30 % ces émissions entre 2020 et 2030. Mais pendant que les Etats discutent de plans nationaux détaillés et peinent encore pour la plupart à mettre en place des mesures concrètes, les rétroactions climatiques se font déjà ressentir sur les zones humides. En effet, le boom du taux de méthane dans l’atmosphère depuis le début des années 2020 s’explique en grande partie par la réaction des plaines, savanes, forêts inondées et autre marécage au réchauffement, à laquelle s’additionne la hausse de l’utilisation des combustibles fossiles. Les zones humides, à l’image des tourbières inondées au Québec ou du Pantanal brésilien, sont la source naturelle de méthane la plus importante au monde ; l’augmentation de la température et de l’humidité y déclenche les émissions de CH4 via l’activité de bactéries. Résultat, «les émissions anthropiques doivent diminuer plus que prévu», résument les chercheurs dans Frontiers.

«Les émissions de la plupart des pays ont augmenté depuis 2020, et nous sommes en 2024. 2030 arrive très vite. Il faut redoubler d’effort dès maintenant», tance Marielle Saunois, consciente que le défi ne sera pas des plus simple au regard de l’incertitude politique de grandes nations émettrices de méthane comme les Etats-Unis. S’il y a quelques jours, l’administration Biden-Harris a organisé un sommet sur la réduction des «super-polluants», dont le méthane, avec à la clé l’annonce de nouvelles mesures, Donald Trump, lui continue sa campagne en clamant haut et fort son amour de l’or noir.