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Analyse

Climat : réveillon au balcon, planète en fusion

Samedi, les températures mesurées par Météo France ont dépassé de 8,3 °C les normales de saison. Dernier épisode d’une année où le monde a montré de nombreux signes d’une surchauffe provoquée par l’homme.
Bain traditionnel du réveillon, à Dinard, samedi. (Loic Venance/AFP)
publié le 1er janvier 2023 à 19h26

Jamais la France n’avait connu un 31 décembre aussi chaud. 18,6 °C à Strasbourg, 18 °C à Rennes, 20 °C à Marseille… et un décompte de minuit parfois effectué en tee-shirt et en plein air, sans que les agapes du réveillon ne puissent tout expliquer. Ce samedi a symboliquement marqué la pire journée de l’année 2022, avec 8,3°C d’excédent thermique par rapport aux normales de saison, note Météo France. Un pic de chaleur intense s’expliquant par «la remontée d’une masse d’air tropicale, qui prend naissance dans les Caraïbes, vers l’Europe, décrit à Libération l’agroclimatologue Serge Zaka. Ce phénomène appelé “rivière atmosphérique” est très classique chez nous. Simplement, il remonte plus de chaleur que d’habitude».

S’il se garde d’expliquer cet épisode précis par l’impact des activités humaines, le scientifique pointe toutefois le fait que plusieurs événements similaires se sont produits ces dernières années, dont le lien est avéré avec le changement climatique d’origine anthropique. Et Serge Zaka d’appeler à sortir de notre «vision humano-centrée» : «Il est difficile de faire comprendre au grand public qu’un hiver aussi doux n’est pas normal, parce que ces températures sont évidemment plus agréables que des -5 °C. Mais ce genre de “faux printemps” est néfaste aux écosystèmes, parce que cela dérégule les cycles biologiques et les fragilise face aux épisodes de gel qui surviendront en mars ou avril.» En 2021, les dégâts liés au gel avaient coûté, en France, plus de 4 milliards d’euros aux seuls secteurs de la viticulture et de l’arboriculture.

Tendance lourde

La dernière journée de 2022 a conclu une année qui battra, et de loin, les records de températures enregistrés depuis 1900 dans l’Hexagone. Météo France communiquera cette semaine le chiffre précis, qui devrait s’établir autour de 14,5 °C de moyenne annuelle, soit un demi-degré au-dessus des précédentes marques. «C’est cela qui est attribuable au changement climatique : on bat le record précédent très régulièrement, une année sur deux ou trois», rappelait récemment à Libération le météorologue François Gourand. «On n’a pas simplement battu des records de températures cette année, on les a pulvérisés», appuie auprès de Libé le climatologue Jean Jouzel (1).

Vertigineux et inquiétant. Car la tendance est lourde. Le phénomène est évidemment loin d’être franco-français. 2022 pourrait être la cinquième ou sixième année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. Partout en Europe, le week-end a été marqué par des températures frôlant les 20°C, comme en Allemagne ou en Pologne. L’an passé, la planète a souffert de phénomènes climatiques extrêmes et multiples : incendies monstres, de la Californie à la Grèce ; inondations catastrophiques en Corée du Sud ou au Pakistan ; famines à répétition et déplacement de millions de personnes… L’humanité a été marquée dans sa chair par le changement climatique et ses conséquences en cascade. Un phénomène dont elle est responsable.

Nos émissions de gaz à effet de serre – qui ont déjà provoqué un réchauffement de la planète de 1,2°C – ont durablement bouleversé le climat, et rien n’indique que leur trajectoire actuelle suffise à rendre l’avenir supportable. «Qui aurait pu prédire […] la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ?» a osé le président Emmanuel Macron dans ses vœux adressés aux Français samedi soir, faisant fi des alertes répétées de la communauté scientifique : «Ce que l’on vit en ce moment, c’est ce qu’on anticipe pourtant depuis une trentaine d’années, répond Jean Jouzel. Ce qui est exceptionnel aujourd’hui va devenir la norme», prévient le climatologue. Si les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas significativement, «on va vers un réchauffement autour de 3°C dans la deuxième partie de ce siècle, c’est deux fois trop par rapport à ce qu’il faudrait pour que l’on puisse s’adapter», pointe-t-il encore.

«Nous sommes vulnérables»

Pour Serge Zaka, «2022 a montré à quel point nous sommes vulnérables. On doit s’en servir pour travailler à deux objectifs : l’adaptation, c’est-à-dire préparer notre agriculture, nos bâtiments, notre système de santé à ce genre de températures. Mais aussi l’atténuation, soit réduire nos émissions de gaz à effet de serre, autant et aussi vite que possible». Car le réchauffement climatique causera bien plus de dégâts s’il s’établit – comme actuellement – à +2,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle plutôt qu’entre 1,5 °C et 2 °C, l’objectif fixé par l’accord de Paris de 2015. En France, le rythme des émissions de CO2 est encore loin d’être en phase avec l’ambition de «gagner […] la bataille de la transition écologique» affichée par le chef de l’Etat lors de ses vœux, tout comme avec celui d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), notre pays a rejeté presque autant de gaz à effet de serre sur les neuf premiers mois de l’année 2022 que celles émises sur la même période en 2021. Pire, elles sont reparties à la hausse en septembre.

(1) Climat : parlons vrai, avec Baptiste Denis, éd. les Pérégrines, 2021.