Jamais la Somalie n’avait connu aussi puissant cyclone que le monstre Gati. En novembre, deux années de pluie s’abattaient en quelques jours dans la région de Bari, dans le Puntland, où les événements météorologiques extrêmes se font de plus en plus fréquents. Bilan : huit morts et plusieurs dizaines de milliers de personnes déplacées.
Ces dernières années, les désastres naturels causés par les dérèglements climatiques ont été la principale cause des déplacements en Somalie (6% de la population), déjà ravagée par la guerre. Ce pays de la Corne de l’Afrique n’est pourtant responsable que de 0,00027% des émissions de gaz à effet de serre, bien loin des 72% émis depuis 1850 par les plus grands pollueurs historiques. Les pays les plus pauvres sont de loin les premières victimes du changement climatique, devenu l’un des premiers facteurs de déplacement dans le monde, avec 30,7 millions de personnes concernées en 2020.
«Serpent qui se mord la queue»
Au lieu de tenter de réduire ces écarts, sept de ces plus gros Etats émetteurs de gaz à effet de serre – Etats-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, Canada, France et Australie – ont dépensé collectivement au moins deux fois plus d’argent entre 2013 et 2018 pour armer leurs frontières (plus de 33,1 milliards de dollars, 28 milliards d’euros) que dans la lutte contre le changement climatique (14,4 milliards de dollars, 12 milliards d’euros), alerte un récent rapport du think tank Transnational Institute, basé aux Pays-Bas. En moins de deux décennies, Washington a ainsi triplé ses dépenses dans les contrôles frontaliers et migratoires, tandis que le budget de l’agence Frontex, accusée par des ONG d’être devenue le «chien de garde» de l’Union européenne, a fait un «bond spectaculaire» de 2 763% depuis 2006.
Les pays développés n’ont en revanche pas honoré leur promesse de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour aider les pays du Sud à s’adapter aux changements climatiques. Un objectif qui pourrait néanmoins être atteint en 2023, selon le dernier rapport publié par la présidence britannique de la COP26.
Le Transnational Institute estime que les pays les plus riches ont érigé de véritables «murs contre le climat» à la fois extrêmement lucratifs pour l’industrie de sécurisation des frontières (technologies de surveillance, agents armés, systèmes biométriques sophistiqués…) et générateurs d’«indicibles souffrances» chez les migrants et demandeurs d’asile. Il existe aujourd’hui au moins 63 murs physiques construits le long des frontières, contre six en 1989. «Plus les Etats militarisent leurs frontières, plus les migrants vont faire appel aux passeurs, et plus ces derniers vont augmenter les tarifs de leurs services. De leur côté, les industriels ont aussi besoin que les frontières soient franchies régulièrement pour vendre leurs équipements. C’est le serpent qui se mord la queue», analyse François Gemenne, chercheur à l’Université de Liège et spécialiste des migrations.
Des connivences aux graves conséquences
Les entreprises du marché de la sécurité n’hésitent pas à tirer parti de ce gigantesque business. Et espèrent même engranger davantage de bénéfices «grâce à l’instabilité prévue en raison du changement climatique», note le rapport, qui se base sur les chiffres de l’entreprise américaine Research and Markets. Cette dernière estime que le marché mondial de la sécurité intérieure devrait bondir de plus de 40% entre 2018 et 2024, notamment en raison de la multiplication des catastrophes naturelles.
D’autant que l’industrie de la militarisation des frontières fournit également des produits et services de sécurité à l’industrie pétrolière, elle-même responsable de la crise climatique. L’étude indique que la société ExxonMobil a par exemple fait appel à L3Harris, l’un des principaux fournisseurs de services de sécurité des frontières des Etats-Unis, pour obtenir des informations sur la situation maritime de ses forages dans le delta du Niger, au Nigeria.
Interview
Des connivences qui menacent d’aggraver un peu plus les conséquences du dérèglement climatique : «Si des investissements suffisants ne sont pas faits pour aider les pays [en développement], la crise entraînera davantage de catastrophes humaines et déracinera plus de populations. Les dépenses des gouvernements sont un choix politique», conclut le rapport.