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Libération
Fumée verte

COP28: ce qu’il y a dans un accord «historique» pour les pays occidentaux et pétroliers, plein de «lacunes» pour les Etats insulaires

Ce mercredi 13 décembre, les 194 pays réunis à la COP28 ont approuvé une décision saluée par de nombreux gouvernements car les combustibles fossiles sont mentionnés pour la première fois. Mais le texte laisse libre court à beaucoup d’interprétations déplorent certains Etats et ONG.
Manifestation contre les énergies fossiles à Dubaï mercredi 13 décembre 2023 en marge de la prolongation des négociations de la COP 28. (Peter Dejong/AP)
publié le 13 décembre 2023 à 7h26
(mis à jour le 13 décembre 2023 à 12h04)

«N’entendant pas d’objection, c’est décidé.» En moins de cinq minutes, Sultan Al-Jaber, le président émirati de la COP a mis un terme au sommet onusien qui se déroulait depuis deux semaines à Dubaï. Sans même laisser un temps de réponse, il a abattu son marteau en bois, sous les applaudissements ce mercredi 13 décembre. Al-Jaber était pressé de mettre un terme à la COP28, qui jouait les prolongations depuis 24 heures et doit laisser place à un marché de Noël à installer d’ici vendredi. Au terme d’une journée de négociations houleuses, la présidence émiratie a dévoilé à l’aube une ultime proposition de texte de 21 pages concernant le premier «Bilan global» de l’action climatique depuis l’accord de Paris. L’étrange compromis, à l’image de cette COP, a été adopté par consensus, sans qu’aucun des 194 pays ni l’Union européenne ne fassent d’objection.

Comme espéré par les ONG ou encore l’Union européenne, une partie portant sur les «énergies fossiles» (gaz, pétrole et charbon) est bien présente pour enfin nommer «l’éléphant dans la pièce». Pour la première fois dans un document de clôture de COP, ces termes jusqu’ici tabous sont mentionnés et mettent donc le doigt sur la principale cause du changement climatique. Le président de l’événement, Sultan Al Jaber, à la tête de la compagnie pétrolière nationale et d’une grosse entreprise de renouvelables, s’enorgueillit ainsi d’une décision «historique» prise. Un terme repris par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, même si de nombreuses concessions ont été faites aux pays riches en pétrole et en gaz. De son côté, le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra a applaudi: il aura fallu près de 30 ans pour «arriver au début de la fin des énergies fossiles».

Une «transition» plutôt qu’ «une sortie»

Que dit exactement le texte? Dans le 28e paragraphe (sur 196) du texte, une longue phrase «appelle» les pays à «faire une transition hors de » ou à «s’éloigner», selon la traduction française retenue, des «énergies fossiles dans les systèmes énergétiques», et ce pour «atteindre la neutralité carbone en 2050». La présidence émiratie a usé d’une astuce sémantique pour éviter de parler de «sortie» pure et dure (le fameux «phase out»). Ce mot braquait principalement les pays du Golfe et le bloc africain, contrairement à la centaine de pays emmenés par l’Union européenne qui souhaitait le voir apparaitre pour respecter l’objectif de limiter le changement climatique à 1,5 °C.

La «réduction» des combustibles fossiles, jusqu’ici sur la table, a elle aussi disparu, au grand dam des pays insulaires rongés par la montée des océans et a été remplacée par l’idée de «transition» des énergies fossiles vers les renouvelables. Le terme, vague, permet à chacun d’y lire ce qu’il veut. Le compromis trouvé convient en tout cas à la France, qui y voit un synonyme diplomatique de «sortie». «C’est la première fois que tous les pays convergent sur ce point», s’est félicitée la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. «Il y a des raison d’être optimiste» s’est réjoui l’émissaire américain pour le climat, John Kerry, rappelant le contexte géopolitique délicat d’un monde «secoué par la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient et tous les autres défis d’une planète qui patauge».

Les pays développés estiment qu’il s’agit d’une façon d’insister sur le besoin de substituer le gaz, le pétrole et le charbon par le solaire, l’éolien ou encore l’hydraulique. Or, pour l’heure, le concept de «transition» est un échec dans le monde : les renouvelables s’additionnent aux fossiles qui ne baissent pas, ce qui empêche la diminution drastique des émissions dont l’humanité a besoin. Les efforts doivent également s’accélérer dès cette décennie insiste le texte, sans toutefois donner d’objectifs chiffrés et datés, alors que le mix énergétique mondial est actuellement dominé à plus de 80 % par les énergies fossiles. Et la transition doit être «juste, ordonnée et équitable», avec un rythme différencié selon les Etats, leurs besoins de développement et leur responsabilité historique dans le réchauffement climatique. Un point important pour les pays du sud. «Il est fondamental que les pays développés prennent les devants sur la transition vers la fin des combustibles fossiles», a d’ailleurs commenté le ministre brésilienne de l’Environnement, Marina Silva. Un point sur lequel la Chine, considérée comme pays en développement mais gros émetteur actuel, n’a pas manqué d’insister pour se défausser.

Pour le reste du «paquet énergie», chacun peut piocher dans ce qui le contente. Le triplement de la capacité des énergies renouvelables au niveau mondial ainsi que le doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030 figurent en haut des mesures à mettre en place, conformément à l’engagement du G20. La baisse du charbon est elle aussi mentionnée. Ce qui est un progrès par rapport à la version précédente du texte, qui actait un recul en la matière. Les pays sont désormais appelés à enclencher ce virage, en ligne avec ce que demandait déjà la COP26 à Glasgow.

Une avancée et des lacunes

Mais la décision finale comporte une «litanie de lacunes», ont dénoncé l’alliance des petits Etats insulaires (Aosis), précisant qu’elles n’étaient pas dans la salle quand Al Jaber a abattu son marteau. Ces dernières s’inquiètent du paragraphe incluant le développement du nucléaire, de l’hydrogène «bas carbone» et des technologies balbutiantes de captage du carbone, prisées par les pays producteurs de pétrole. Il stipule que le recours à la technologie controversée de capture du CO2 doit désormais être déployé «en particulier» dans les secteurs où les émissions sont difficiles à réduire. Le terme «uniquement» aurait été préférable pour éviter les dérives. Il suffit d’observer la réaction de l’Arabie saoudite, porte-voix des pays pétroliers, qui dit sa «gratitude» et salue «les grands efforts» de la présidence émiratie. Pour Riyad, les pays doivent «exploiter toutes les possibilités permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, qu’elle qu’en soit la source, et en utilisant toutes les technologies».

Autre problème : la reconnaissance des «énergies de transition», telles que le gaz naturel, une énergie fossile qui n’est pas explicitement nommée et dont le côté vert, défendu par le secteur gazier, est contesté. «Il faudra se débarrasser des supercheries climatiques qui parasitent la lutte contre le réchauffement climatique, sous la pression des lobbys fossiles et de plusieurs pays», s’agace Arnaud Gilles, chargé de plaidoyer énergie-climat pour WWF. Des passages importants portant sur des conclusions du Giec ont d’ailleurs été supprimés, relève le centre de réflexion World Resources Institute (WRI). Une disparition fâcheuse alors que le texte a été adopté à la fin de l’année la plus chaude jamais enregistrée et que la présidence émiratie tente de faire croire qu’elle «respecte la science». Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est, lui, montré modérément satisfait, regrettant qu’il ne soit pas fait mention d’une sortie claire des énergies fossiles. «Je tiens à dire que la sortie des combustibles fossiles est inévitable, qu’ils le veuillent ou non. Espérons qu’elle n’arrive pas trop tard.»

Malgré tout de nombreuses ONG et observateurs estiment que l’accord constitue une avancée. «Même s’il ne s’agit pas de la décision historique que nous espérions, ce texte nous met sur la voie de l’élimination progressive des combustibles fossiles», réagit Andreas Sieber, l’un des responsables de l’association 350.org. La coalition d’ONG Climate Action network, elle, estime que l’accord «a réussi à mettre l’accent sur la fin des combustibles fossiles par le biais d’un système équitable rapide et financé.» Comme l’expliquait à Libé le politologue et membre du Giec François Gemenne, l’objectif principal est d’envoyer un signal clair au secteur financier et aux pays producteurs de pétrole sur la fin inéluctable de l’ère des fossiles. La baisse massive des investissements en la matière sera un bon indicateur de succès. «Il y a toute une série de points faibles dans l’accord. Cela étant dit, regardons d’où l’on vient, recentre-t-il au micro de France Inter. Rendons-nous compte qu’on va acter aux Emirats Arabes Unis la sortie des énergies fossiles, c’est comme si la France renonçait au cinéma et à la gastronomie.»

Quid du financement ?

«La question de savoir s’il s’agit d’un tournant qui marque véritablement le début de la fin de l’ère des combustibles fossiles dépend des actions à venir et de la mobilisation des fonds nécessaires pour les mener à bien», analyse l’écolo américain Al Gore. Car, pour embarquer tout le monde vers l’ère des renouvelables, y compris les pays les moins avancés et en développement, il faut que les pays riches mettent les mains à la pâte. Or «on a vu un manque flagrant de financement dans tous les domaines de la lutte climatique, que ce soit transition énergétique, l’adaptation ou les pertes et dommages», regrette Fanny Petitbon de l’ONG humanitaire Care. Afin de restaurer la confiance entre Nord et Sud, le document «demande instamment» aux pays développés de doubler leurs aides à l’adaptation au changement climatique destinées aux pays en développement d’ici 2025, alors que pour l’heure «le déficit de financement de l’adaptation se creuse». Il précise que les besoins sont estimés entre 215 et 387 milliards de dollars. Ce sujet clé a été éclipsé à la COP28 mais reste capital et douloureux.

Enfin, le texte reconnaît le fonds «pertes et dommages», dont les détails de mise en place ont été définis dès le début de la COP28, et compte 792 millions de dollars déjà promis pour aider les pays vulnérables à réparer les dégâts du changement climatique déjà présents. Mais aucun Etat n’est contraint de mettre au pot alors que des centaines de milliards seront nécessaires pour répondre aux besoins. «Ce qui a pour l’instant été mis sur la table pour financer le fond correspond aux salaires des trois footballeurs les mieux payés au monde ! illustre la paléoclimatologue Valérie Masson Delmotte, ancienne co-autrice du Giec. Vous voyez le décalage...» Il reste donc du pain sur la planche pour affiner la voie sur laquelle la communauté internationale vient de s’embarquer. La prochaine édition, qui aura lieu à Bakou en Azerbaïdjan, sera une COP centrée sur la finance climat. Organisé cette fois-ci dans un pays gazier, l’événement promet une fois de plus d’être riche en controverses.