Jeunesse, biodiversité, justice, décolonialisme… Toute l’année, Libé informe sur les enjeux de l’urgence écologique à travers une série d’événements gratuits et grand public. L’objectif : trouver des solutions concrètes au plus proche des territoires. Cinquième étape du Tour 2024 : Marseille, le samedi 19 octobre (entrée libre sur inscription). Un rendez-vous réalisé avec le soutien de la ville de Marseille, le Mucem et la Citadelle de Marseille, et en partenariat avec le Crédit Coopératif, l’Ademe, le groupe VYV, le groupe SOS, Asics, la Fondation Jean-Jaurès, Greenpeace, Oxfam, la Forêt des Possibles, le Lierre, Médiatransports, Pioche ! Magazine, Vert, le média et BFM Marseille. Entrée gratuite sur inscription.
Salomé Saqué approche de la trentaine. La journaliste, qui publie un nouveau livre, Résister (Ed Payot), travaille sur tout ce qui touche, de près ou de loin, aux inégalités (genre, climat, jeunesse, économie). Djellali El Ouzeri, lui, est dans la musique et arrive à la cinquantaine. Plus connu sous le nom de DJ Djel, il est membre de la Fonky Family, un groupe marseillais qui a laissé son empreinte sur le hip-hop hexagonal. La journaliste et le musicien seront samedi à Marseille pour participer au Climat Libé Tour. Une étape qui a pour mission de répondre à cette fameuse question : «Comment embarquer tous les Français et surtout les populations les plus vulnérables ?» Nous avons réuni – à distance – Salomé Saqué et DJ Djel pour tenter d’y répondre en avant-première. Chacun en conservant sa place – journaliste et musicien de Marseille. Chacun avec le regard sur sa génération.
Les politiques et les médias disent «écologie populaire» pour décrire le concept qui vise à rendre les questions environnementales accessibles et pertinentes pour toutes les couches sociales. Quelle traduction faites-vous à titre personnel de ce terme ?
Djellali El Ouzeri : Je le vois comme une grande histoire où tous les citoyens se sentent concernés par le dérèglement climatique, notamment les habitants des quartiers parce qu’il ne faut pas mettre de côté la question sociale. Je fais juste un petit écart pour dire un truc qui vient à l’esprit : quand je parle à des potes, on se demande pourquoi il y a un parti politique écologique : cette question devrait être au cœur de tous les partis. Sinon, pour revenir à la question de départ, «l’écologie populaire», c’est l’écologie du futur.
Salomé Saqué : Je vois «l’écologie populaire» comme une écologie qui parle au plus grand monde, ou plutôt, une écologie qui parle aux préoccupations du plus grand nombre. Et qui arrive à s’adapter aux réalités du quotidien des gens, de leur vie, et de la vie. L’objectif de «l’écologie populaire» : montrer à tout le monde, à tous les territoires et toutes les classes sociales, que l’écologie, en mettant au centre les questions sociales, peut changer la vie en bien.
Pour améliorer la vie des gens, notamment les plus pauvres, il faut de meilleurs logements en mettant un terme aux passoires thermiques, mais aussi une meilleure accessibilité aux transports. Dans une ville comme Marseille, comment faire pour traverser la ville du nord au sud sans utiliser la voiture ?
D.E.O. : Ah ! Pendant longtemps, c’était un problème. Une vraie galère. On était obligé de passer par le centre-ville. Les quartiers Nord étaient cloisonnés, enfermés à Marseille. Il y a du mieux depuis quelques années, notamment avec l’arrivée du métro. Notre ville fait beaucoup causer. J’entends un peu partout que Marseille est sale. Les gens en font toujours trop, mais ça ne veut pas dire que nous ne devons pas faire de nombreux efforts. Les gamins ne doivent plus jeter leur canette par terre. Un travail pédagogique doit être fait. Nous devons réussir à parler de l’écologie dans nos quartiers. La question que tout le monde doit se poser : comment fait-on pour vivre ensemble dans un endroit propre ?
Comment ?
D.E.O. : De la discussion, de la pédagogie et des actions. J’ai déjà participé à des après-midi avec des gamins de mon académie, qui forme des DJ, dans les quartiers de la ville pour ramasser les déchets. Chacun doit faire en sorte que ça soit en bas de chez lui et en bas de chez les autres.
S.S. : Je partage le constat. Le changement écologique ne peut se passer des individus. Il faut trier ses déchets, faire couler moins d’eau, manger moins de viande, etc. Mais la plus grande part revient aux pouvoirs publics, surtout en direction des plus pauvres qui sont les premiers exposés au réchauffement climatique et à ses conséquences. Les plus pauvres sont ceux qui causent le moins de dégâts. Il suffit de regarder les chiffres : la moitié des français les plus pauvres ont une empreinte carbone de 5 tonnes de CO2 par an contre 9 tonnes en moyenne pour le reste de la population, et 40,2 tonnes pour les 1% des français les plus riches. A Paris, par exemple, les plus pauvres ont trois fois plus de chance de mourir que les plus riches lors d’un épisode de pollution. Comment mettre la pression ? On n’arrivera pas à engager une vraie transition, ou même une rupture, sans une grande partie de la population. Les habitants des quartiers populaires ont tout intérêt à se mobiliser pour que ça change. Et ça bouge. On le voit sur le terrain, notamment avec des figures comme Féris Barkat qui fait un travail remarquable.
La figure écolo peut être moquée dans les quartiers. Parfois, c’est même une vanne…
D.E.O. : (Rires). Il y a même un personnage écolo type dans notre imaginaire.
Tu peux le décrire ?
D.E.O. : Un homme qui a des lunettes rondes, des pantalons trop courts, des sandales Birkenstock (rires). C’est con mais c’est vrai. On réduit le militant écologiste à un bobo intello. Peut-être qu’on devrait moins l’intellectualiser et le populariser, voire le valoriser.
S.S. : Je tiens à préciser un point qui me semble central : l’écologie ne peut pas être populaire si on ne remet pas en cause les rapports de domination et les inégalités. Elle doit mettre au centre les victimes de la violence sociale. Une écologie qui n’aborde pas les rapports de domination et les inégalités aura du mal à se rendre audible chez une grande partie de la population.
D.E.O. : Ce n’est pas faux. Je dirais même que tu as raison.
Dans les quartiers populaires et les villages, les gens qui ne roulent pas sur l’or sont souvent écolos sans le savoir ou se le dire. Ils recyclent les vêtements par exemple, ils font attention à la consommation d’énergie aussi…
S.S. : Ce sont des choix subis face à la situation économique et sociale. Et la population est prête à faire des efforts. On a pu le constater en 2020 lors du résultat de la convention citoyenne du climat. Ce n’était pas des militants écologistes mais 150 personnes tirées au sort. Et à la fin, après des mois de travail, ils ont fait des propositions fortes pour lutter contre le réchauffement climatique. Et pendant ce temps-là, les plus riches, les personnes aisées, mangent de la viande, prennent l’avion plusieurs fois par an, consomment de l’énergie tranquillement et sans se poser de questions.
D.E.O. : Il faut aussi un mélange pour changer les habitudes. Je le vois dans mon quartier à Marseille, Cinq-Avenues, à proximité du centre-ville. C’était un quartier vieillissant de Marseille, une ville métisse qui se créolise depuis toujours. Ces dernières années, notamment après le Covid, il y a eu une nouvelle vague d’arrivées. De nouvelles personnes sont venues s’installer à Marseille avec leurs habitudes. Des Parisiens mais pas seulement. Et chacun apprend de l’autre. On voit, par exemple ici, un peu plus de gens qui se déplacent à vélo. Ça donne envie. Je partage ce que dit Salomé sur les pauvres qui font attention au gaspillage. Ce n’est pas toujours par choix. La priorité des parents : nourrir leurs gamins, les éduquer dans un logement où il ne fait ni trop chaud ni trop froid, et ainsi de suite. Elle coûte cher, la transition. Elle n’est pas accessible à tout le monde. Ça coûte combien la bonne bouffe ? Et combien un vélo ou une voiture électrique ?
Salomé, tu es journaliste, tu interroges de nombreux politiques et associatifs. Est-ce que leur langage est compréhensible pour le plus grand nombre ?
S.S. : Ça dépend de qui, de quoi et de comment. Déjà, une majorité de politiques ne veulent pas que l’écologie soit audible. Je dirais même qu’ils œuvrent contre l’écologie. Ensuite, au contraire, je trouve que ceux qui portent l’écologie arrivent à être audibles. Il suffit de se rendre aux manifestations et de voir le slogan «Fin du monde, fin du mois, même combat», qui est un slogan direct et clair, sur de nombreuses pancartes. Je me répète mais l’égalité est la question centrale. Tu ne peux pas dire à des pauvres de renoncer à certaines choses pour lutter contre le réchauffement climatique pendant que les plus riches mènent leur vie.
Récemment, il y a eu un vote après la dissolution, de nombreux jeunes, des classes populaires ou non, se sont déplacés, certains pour la première fois. Le résultat final est connu : le gouvernement est à droite toute alors que la gauche est arrivée en tête.La confiance existe-t-elle toujours ?
D.E.O. : C’est compliqué, vraiment. Je l’ai vu autour de moi : de nombreux jeunes ont voté et ils sont déçus. Les gens ne sont pas dupes. La nouvelle génération dit ce que disait l’ancienne : ils croient de moins en moins aux politiques et à la politique, ils pensent que les élus se battent pour des sièges et un joli salaire. Comment ne pas être d’accord avec eux ? Les gens votent et le résultat n’est pas pris en compte. Ça laissera des traces. Depuis tout à l’heure, on parle de l’écologie et je tiens à dire qu’elle doit être au-dessus des politiques. Elle doit être incarnée par des figures, comme José Bové à son époque, pour rassembler le plus grand nombre et ne pas laisser le choix à ceux qui gouvernent.
S.S. : C’est vrai que les jeunes se sont mobilisés après la dissolution. Je l’ai vu sur le terrain. Il y a de la colère aujourd’hui, et de la déception. Au prochain vote, en cas de forte abstention, on va encore entendre que les jeunes sont irresponsables. On connaît cette dynamique. Mais ils sont nombreux à avoir la sensation que ça ne sert à rien de voter. Et on entend aussi que faire de la politique, ce n’est pas que voter. Des jeunes font des actions, ils se mobilisent dans les associations, organisent des maraudes. Ils s’impliquent. La mobilisation reste forte. Djel, tu parlais de José Bové à raison. Il a été une figure emblématique. Un militant comme Féris Barkat occupe une place dans le militantisme aujourd’hui. Il y a aussi Camille Etienne. Elle arrive à mobiliser des millions de personnes sur des actions. Elle met réellement la pression aux politiques. Elle gagne des combats. C’est dur mais les militants arrivent à proposer des alternatives et forcer les politiques à prendre en compte l’écologie à chacune de leur décision. Tout n’est pas perdu ; loin de là.