Les ultrariches n’ont pas fini de saccager le climat. Une étude publiée ce jeudi 7 novembre dans la revue scientifique Communications Earth & Environment révèle que les émissions de CO2 liées aux jets privés ont augmenté de 46 % entre 2019 et 2023 dans le monde. Une hausse encore plus importante que celle due aux vols commerciaux, qui après un fort rebond ont dépassé le niveau pré-Covid. Les avions d’affaires sont très énergivores mais le nombre d’engins, de vols, et les distances parcourues ne cessent de s’envoler.
En 2021, l’ONG Transport et Environnement avait calculé que les jets privés rejetaient en moyenne dix fois plus de carbone que les lignes aériennes, et étaient 50 fois plus polluants que les trains. Utilisés par 0,003 % de la population, ces engins ont libéré à eux seuls au moins 15,6 millions de tonnes de CO2 en 2023 selon les auteurs de la nouvelle étude, soit l’équivalent des émissions annuelles de 2 millions de Français. «L’analyse montre que les personnes utilisant les jets privés émettent de manière disproportionnée par rapport à un être humain moyen», notent les auteurs. Le communiqué destiné aux journalistes précise même que «certains individus qui utilisent régulièrement l’aviation privée peuvent produire près de 500 fois plus de CO2 en un an que l’individu moyen».
Des vols de moins de 50 kilomètres
Pour calculer ces émissions, les auteurs se sont basés sur les données d’une plateforme, ADS-B Exchange, qui recense le trafic aérien dans le monde. Ils ont pris en compte 72 modèles différents de jets privés, dont la consommation varie de 182 à 2 108 litres de carburant par heure. Au total, 18,6 millions de vols ont été recensés entre 2019 et 2023. «La majeure partie du trafic aérien a lieu aux Etats-Unis, suivis par l’Europe. Les capitales d’Amérique centrale (Mexico, Guatemala, San José et Panama), ainsi que les Caraïbes (îles Turques-et-Caïques, Anguilla, Barbade, Cancún) sont très fréquentées, tout comme le Moyen-Orient», détaillent-ils. Près de la moitié des vols est utilisée pour parcourir des distances inférieures à 500 kilomètres, c’est-à-dire l’équivalent d’un Bordeaux-Paris. Pire, les jets privés «semblent souvent remplacer les voitures pour des raisons de temps ou de commodité, comme le montre la part de 4,7 % des vols très courts, inférieurs à 50 kilomètres», dit l’étude.
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Les trajets ne se limitent pas purement à des vols d’affaires, il apparaît que la majorité serait pour les loisirs étant donné que beaucoup de vols ont lieu le week-end et l’été. Les auteurs ont également examiné les pics de trafic générés par des événements mondiaux. Parmi eux, la Coupe du monde de football 2022 au Qatar (14 700 tonnes de CO2 émises par les 1 850 jets privés), le Forum économique mondial de Davos en Suisse (7 500 tonnes émises par 660 jets) ou le Festival de Cannes (4 800 tonnes de CO2 rejetées par 640 jets). L’identité des propriétaires ou des locataires des appareils, ainsi que le nombre de voyageurs par vol n’ont pas pu être étudiés. De même, la pollution induite par la fabrication des jets n’est pas prise en compte et seule la dépense de carburant pendant le vol est calculée.
Une régulation qui peine à s’imposer
Les scientifiques font remarquer que malgré le fait que les jets privés consomment moins par kilomètre en 2023 qu’en 2019 grâce à des gains énergétiques, la hausse du trafic a mené à une hausse nette des émissions, et cela va encore s’accentuer. «L’industrie s’attend à ce que 8 500 jets d’affaires supplémentaires soient livrés au cours de la période 2024-2032, note l’étude. L’aviation d’affaires deviendra donc probablement une source d’émissions de plus en plus importante en termes relatifs (part des émissions mondiales) et absolus (émissions totales du secteur).» Une mauvaise nouvelle dans un contexte où l’humanité doit faire baisser ses émissions dans tous les secteurs pour espérer stabiliser le changement climatique au plus vite.
Les auteurs, de nationalité suédoise, allemande et danoise, rappellent que la croissance mondiale des émissions est propulsée par les classes les plus riches et appellent à une «régulation» du secteur des jets privés (via des taxes et /ou des limitations de vols) pour réduire leur impact. En France, début 2023, une proposition de loi écologiste avait été déposée à l’Assemblée nationale pour mettre fin aux vols de jets privés de moins de 60 passagers «au départ, à destination ou à l’intérieur du territoire métropolitain français». Mais elle n’avait pas convaincu les députés.