La Norvège a lancé mercredi 18 juin le plus grand projet de captage et de stockage du dioxyde de carbone (CCS) au monde. Cette technologie controversée, qui peine à trouver un modèle économique viable, est de plus en plus souvent mise en avant pour participer à absorber la partie résiduelle de nos émissions de gaz à effet de serre. Portant le nom anglais des bateaux vikings, le projet Longship consiste à capter du CO2 dans une cimenterie et plus tard une usine d’incinération, à le transporter par bateau vers un terminal de la côte ouest puis à l’injecter et le séquestrer sous les fonds marins.
L’opération bénéficie d’un important soutien financier de l’Etat norvégien qui va prendre à sa charge près de 2 milliards d’euros sur un coût total estimé à 34 milliards, comprenant la mise en place des installations et leur exploitation durant les dix premières années. Le ministre norvégien de l’Energie, Terje Aasland, salue «une avancée majeure» pour le CCS en Europe. Côté captage, des installations sont officiellement inaugurées ce mercredi dans une cimenterie de l’allemand Heidelberg Materials à Brevik, dans le sud-est du pays.
CO2 injecté dans les fonds marins
Ces dernières doivent permettre d’empêcher 400 000 tonnes de CO2 de s’échapper dans l’atmosphère chaque année. A compter de 2029, l’usine d’incinération des déchets Hafslund Celsio près d’Oslo devrait elle aussi capter 350 000 tonnes de CO2 chaque année. Liquéfié, le dioxyde de carbone sera acheminé par bateau vers le terminal d’Øygarden, près de Bergen, dans l’ouest du pays, où il sera injecté dans un tuyau pour être entreposé, à 110 kilomètres au large, dans un aquifère salin à 2 600 mètres sous les fonds marins.
Ces installations sont déjà en place depuis l’an dernier dans le cadre du projet Northern Lights, porté par les géants pétroliers Equinor, Shell et Total Energies, qui se veut le «premier service commercial de transport et de stockage de CO2 au monde».
La Suisse et la Norvège ont annoncé le même jour la signature d’un accord dans ce domaine. «L’accord signé permet l’exportation et le stockage de CO2 suisse en Norvège ainsi que le commerce de CO2 retiré de l’atmosphère […] Les entreprises suisses peuvent ainsi acheter des émissions négatives à la Norvège et inversement, et ce, conformément aux normes internationales de l’Accord de Paris», déclarent les autorités suisses.
Technologie coûteuse
Le CCS est cité par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat parmi les solutions pour réduire l’empreinte d’industries difficiles à décarboner telles que les cimenteries, responsables à elles seules de 7 % des émissions mondiales de CO2. Le ciment «a un gros désavantage : c’est son empreinte CO2», reconnaît le directeur général d’Heidelberg Materials, Dominik von Achten qui estime que grâce au CCS, il vendra «le premier ciment et béton décarboné au monde».
Cette technologie reste toutefois complexe et coûteuse. Selon l’Agence internationale de l’énergie, si ces technologies peuvent permettre de réduire d’environ 10 % les émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre, la capacité totale de captage et de stockage de CO2 atteindrait seulement près de 50 millions de tonnes dans le monde, soit 0,1 % du total des émissions.
Tribune
Et sans aide financière, il est aujourd’hui plus rentable pour les industriels d’acheter des «permis de polluer» sur le marché européen des quotas d’émissions que de payer pour capter, transporter et stocker leur CO2. «La situation est la suivante : concernant les projets pionniers, nous ne pouvons pas les développer avec le prix actuel» de la tonne de carbone qui tourne autour de 75 euros, explique le directeur général de Northern Lights, Tim Heijn. Selon lui, «deux choses doivent se produire : il faut une hausse progressive du prix [des quotas] afin de refléter correctement le coût réel de l’utilisation du carbone […] et notre industrie doit vraiment s’employer à faire baisser les coûts technologiques grâce à l’innovation». Northern Lights n’a à ce jour signé que trois contrats commerciaux : avec une usine d’ammoniac aux Pays-Bas, deux centrales à biomasse au Danemark et une centrale électro thermique en Suède.