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Libération
Ode à la pluie

En Ardèche, coule l’Ibie et avec elle mon enfance

Avec le réchauffement climatique, la rivière ardéchoise se tarit du printemps à l’automne. Ces derniers mois, les pluies exceptionnelles lui ont permis de retrouver son niveau d’avant. Ephémère, mais réjouissant.
La rivière Ibie, en Ardèche. (Westend61/Getty Images)
publié le 22 avril 2024 à 20h59

On s’en est douté dès le car. On n’était pas parti depuis dix minutes de la gare de Montélimar, pour remonter en terre ardéchoise, que nous a sauté aux yeux une évidence vert pétant : il a beaucoup plu ces dernières semaines. Le printemps est la saison du renouveau de la nature, mais on a rarement vu la végétation aussi pimpante à Pâques.

Puis on l’a aperçue par la vitre, en contrebas de la route qui mène au village, images fugaces d’un large ruban irisé qui serpente entre les arbres. «Attends, mais elle est hyper belle l’Ibie, non ?» L’Ibie, c’est la rivière qui coule dans le coin d’Ardèche où est mon cœur et quelques racines. Je m’y rends plusieurs fois par an depuis que je suis né. Une bonne partie de l’année, l’Ibie se présente comme un long pierrier, qui sinue sur une trentaine de bornes. On peut y apercevoir un filet d’eau, quelques trous, des grosses flaques et des ponts dont on peine à comprendre pourquoi des panneaux précisent qu’ils sont «submersibles».

Dès que le soleil s’installe un peu dans le ciel, le débit se tarit. En été, c’est un tas de cailloux secs. Et l’été a tendance à déborder sur le printemps et l’automne. Dès la mi-avril, la rivière est souvent déjà bien maigre. Il n’en a pas toujours été ainsi. ll y a trente ans, quand j’étais enfant, l’eau était plus haute au printemps. «Il y avait même de l’eau l’été, quand j’étais gamin», nous a glissé un ami du village né dans les années 70.

Alors quand on l’a entendue chanter depuis la maison, aux dernières vacances d’avril, la première chose qu’on a voulu faire, c’est de descendre voir. L’Ibie était haute et claire, d’un turquoise insolent par endroits. Au Trou de la lune, où le seuil d’un ancien moulin forme une petite cascade, l’eau tombait en cataracte. On sait que ça ne durera pas, que c’est conjoncturel, que c’est parce qu’il a vraiment beaucoup plu ces derniers temps. Ces deux dernières années, on parlait de sécheresse dès le printemps : avec les effets du réchauffement climatique, on se prépare à ce que cela devienne la norme. Mais sur le moment, on a savouré cette rivière si haute à ce moment de l’année, résurgence de quelque chose qu’on pensait à jamais disparu. «Tu souris comme un enfant.»