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En Bretagne après le passage de la tempête Ciaran, récits d’une nuit «fantasmagorique» et bruits de tronçonneuses

Si la Bretagne a subi des rafales battant parfois des records vieux de trente ans, les dégâts semblent limités grâce à l’anticipation et la préparation de tous les habitants.
Dégâts à Perros-Guirec après le passage de la tempête le 2 novembre 2023. (Benoit Tessier/REUTERS)
publié le 2 novembre 2023 à 14h05

Les poules sont sauvées. Après le passage de la tempête Ciaran dans la nuit du 1er au 2 novembre en Bretagne, l’heure est à l’évaluation des dégâts. Premier constat, habitués aux gros grains, les habitants semblent s’être préparés à la hauteur du danger. A l’image de Marie-Paola Bertrand-Hillion, une photographe vivant à Hennebont dans le Morbihan, qui annonçait dès mercredi se préparer «à recevoir Ciaran», flirtant avec l’ironie et yrique. «Tout ranger à l’extérieur», se mettre «en mode survivaliste», préparer «des réserves d’eau dans des jerricans», charger «lampes, batterie externe, stock de bougies» et enfin «serrer les fesses et voir ce qu’il se passe». Résultat des courses dans le jardin de Marie-Paola, contactée par Libération : des clôtures HS et l’enclos du poulailler détruit. Il faut rentrer les poules dans la maison avant que le renard ne point le bout de son nez mais l’essentiel est sauf.

Comme cette photographe, tous les témoins du passage de Ciaran parlent d’une «nuit extrêmement impressionnante». Le maire adjoint de Porspoder (Finistère), Gaël Hamayon, a raconté avoir passé la nuit dans sa salle de bain pour se protéger de la tempête. L’élu a félicité ses administrés pour avoir respecté les consignes pendant la nuit tout en invitant encore les Porspoderiens à rester chez eux, les vents étant encore violents au petit matin. Et de conclure, sur BFMTV : «Ne prenez pas de risques.» Si la vigilance rouge aux vents violents a été levée dans tous les départements en fin de matinée, les Bretons découvrent les dégâts en sortant de leurs habitations. Le reste de la France les découvre à mesure que le réseau téléphonique refonctionne partout et que l’information circule.

Dans de multiples localités, des routes sont endommagées ou obstruées, ce qui a conduit la préfecture du Finistère a interdire toute circulation dans le département à l’exception des secours. Parfois, dans les coins reculés, les habitants mettent la main à la pâte en attendant ou avec l’aide des secours, comme, selon le témoignage d’un photographe sur X (anciennement Twitter), la commune de Caudan dans le Morbihan. Là, tracteur, k-way et tronçonneuse sont de sortie afin de se frayer un chemin entre les branches.

«On avait l’impression d’être dans un bateau tellement la maison tremblait»

Du côté d’Hennebont, aussi, on tronçonne. «Notre seule route est en partie bloquée, témoigne Marie-Paola Bertrand-Hillion via sa messagerie Instagram. Mais ce n’est que le début car beaucoup d’arbres sont tombés un peu partout et il y a du boulot.» La photographe avait eu la présence d’esprit de démonter la veille son «logement insolite» - un dôme - avant l’arrivée des vents violents de Ciaran. Dans la rue des Sapins d’or, à Plérin dans les Côtes-d’Armor, une demi-douzaine d’arbres sont tombés à terre, déracinés. Mais heureusement, le coquet lotissement de cette commune littorale «est un peu sur les hauteurs», analyse un agent des services techniques, à pied d’œuvre pour débiter et dégager les arbres couchés, sous les yeux des quelques badauds venus constater les dégâts.

L’un des arbres est tombé sur la véranda de la maison que louent Xavier et Marion. «Mais on n’a rien entendu, on est des gros dormeurs. Il n’y a que madame qui a été réveillée à partir de 3 heures», s’amuse Xavier. «Même le bébé a bien dormi», renchérit Milo, en parlant de sa petite sœur. Et à part quelques ardoises et une gouttière, les dégâts semblent minimes, malgré le tableau impressionnant. Morgane, elle, n’a «pas dormi», hantée par le grand sapin dans le jardin «qui prend vraiment le vent et qui pourrait tomber sur le toit du voisin». Finalement, le conifère «a tenu le coup» et il n’y a pas eu de dommages dans le quartier voisin où elle habite. Mais «c’était horrible, on avait l’impression d’être dans un bateau tellement la maison tremblait», raconte cette femme de 33 ans.

Survolons l’océan. Pour Jean Delabroy et Laure Allard, heureux résidents de Belle-île-en-mer, la tempête de cette nuit a eu des airs de «baptême insulaire». Après y avoir passé nombreuses de leurs vacances, le couple de professeurs retraités habite depuis quatre ans sur cette île rocheuse du Morbihan. «La tempête était annoncée. Cela faisait plusieurs jours que les circulations avec le continent étaient compliquées, que le temps comme l’espace étaient fort déréglés», raconte à Libération Jean Delabroy, 77 ans. Et puis hier soir, la Bretagne est entrée «dans le vif du sujet». Assignés à résidence, sans électricité, difficile de voir ce qui se joue à travers les fenêtres. «C’était fantasmagorique, les arbres qui dansaient, les quelques meubles oubliés dans le jardin qui volaient, les grands chocs sourds du vent…»

Au petit matin, aucun chambardement à déplorer. Sauf peut-être le pommier du jardin «entièrement déshabillé de ses dernières pommes». «Le gazon s’est retrouvé tapissé d’un incroyable tapis de fruits sur lequel marchaient un couple de faisans venu les picorer. C’était une vision extraordinaire.» Le soleil est désormais revenu, mais quelques «nuages lourds repassent dans le ciel, accompagnés de grands coups de vent», décrit encore Jean. «Ils sont comme des souvenirs de la tempête dernière. Ou peut-être déjà des signes de la prochaine ?»