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Précautions

Incendies en Gironde: les producteurs de grands crus ont chaud pour leurs chais

Les vignes restent pour l’instant préservées des incendies qui font rage dans les forêts girondines. Mais la canicule et la fumée, conjuguées à une sécheresse qui dure depuis plusieurs mois, pourraient avoir un impact sur les récoltes.
Dans un vignoble de Saint-Emilion, le 1er juin. (Philippe Lopez/AFP)
publié le 18 juillet 2022 à 20h39

Qu’elle semble loin, l’époque où les vignerons français, dont des Bordelais, usaient du feu pour protéger les bourgeons de la morsure du gel. C’était pourtant en avril, il y a trois mois à peine. Aujourd’hui, pas question d’allumer une flammèche en Gironde, alors qu’un immense brasier a déjà dévoré plus de 15 000 hectares en l’espace de six jours. A Landiras, les vignobles les plus exposés aux risques d’incendie sont le sauternes mais surtout le graves, bordé par les forêts de pins et la Garonne.

«Je n’ai pas connaissance de vignes touchées», tempère auprès de Libération Thierry Mazet, directeur général de la chambre d’agriculture de Gironde. A ce stade, les flammes semblent donc épargner les vignes bordelaises. Un scénario encourageant qui s’explique par des conditions météorologiques favorables. «Les vents sont actuellement contraires, ça souffle vers le sud [côté Landes, ndlr]», témoigne Vincent Landry, viticulteur du château Saint-Agrèves (Landiras), l’air relativement rassuré au bout du fil. «C’est vers le nord de la Garonne que se situent la majorité des viticulteurs», rappelle de son côté Thierry Mazet.

Zone d’appui

Que se passerait-il si l’enfer des braises devenait celui des cépages ? Là encore, les spécialistes contactés par Libé veulent rester optimistes. «Le feu prend très rarement dans les vignes. S’il sort des pins pour arriver sur nos récoltes, il devrait s’arrêter naturellement, ou être rapidement maîtrisé par les pompiers, expose Vincent Landry. D’abord car la vigne est une plante assez verte [donc hydratée et moins inflammable], ensuite car vous ne trouverez ni herbes hautes ni fougères dans nos vignobles.» En clair, il est plus facile d’éteindre un incendie dans une vigne que dans une forêt mal débroussaillée et composée de pins qui s’enflamment comme des torches.

Son efficacité pour stopper les flammes est telle que la vigne est aujourd’hui réputée comme excellent coupe-feu, notamment dans le sud de la France. Les pompiers s’en servent autant comme zone d’appui pour restreindre la propagation des incendies que pour se replier en cas de difficultés. Mais si cette stratégie peut porter ses fruits pour l’intérêt général, elle n’est pas sans risque pour la vigne. Les incendies causent alors de gros dégâts au niveau des premières rangées. La fumée et la suie risquent également d’asphyxier les feuilles et les fruits rescapés des flammes.

«Dans cette profession, vous n’allez pas trouver de climatosceptiques»

Chez les vignerons bordelais, ce n’est pas tant les feux que la sécheresse, en cours depuis de longs mois, qui inquiète. «Certes, la vigne a une forte capacité à s’enraciner et à récolter l’eau dans les profondeurs du sol. Mais elle reste une plante comme une autre, qui a besoin d’eau comme alimentation. Elle a une résilience importante mais ne peut pas supporter l’insupportable», soulève auprès de Libération Dominique Guignard, président du Syndicat viticole des graves et à la tête du Château Roquetaillade La Grange (Mazères).

Autant qu’une baisse des rendements, la hausse des températures et le manque d’eau affectent la physiologie du raisin, altérant alors son acidité ou la teneur en alcool des bouteilles. Face au réchauffement climatique, l’irrigation des vignes devient même nécessaire dans certaines régions, en particulier en Occitanie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Car si la vigne s’acclimate bien sous des climats secs, elle ne tolère qu’un stress hydrique modéré.

Incendies, canicule, sécheresse, grêle, gel… Depuis le début de l’année, les viticulteurs subissent de plein fouet l’accélération des phénomènes météorologiques extrêmes. «Dans cette profession, vous n’allez pas trouver de climatosceptiques», soutient Thierry Mazet. Pour Dominique Guignard, l’agriculteur serait même inquiet par nature : «Il part du principe qu’un séisme peut lui tomber sur la tête chaque jour qui passe.» Pin par pin, la forêt brûle toujours du côté de Landiras, relativement loin de son domaine, mais le viticulteur a choisi de ne pas regarder ailleurs. «C’est notre poumon de biodiversité.»